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Scènes

Pauline Mayor, attention fragile

La comédienne fribourgeoise éclairera de sa présence la Fortunée des Remparts, la deuxième scène du Belluard Bollwerk International


 Sabrina Deladerière

Sabrina Deladerière

26 juin 2021 à 04:01

Portrait » Elle arrive à l’Ancienne Gare, à Fribourg, longue présence évanescente, cachée derrière d’immenses lunettes et une frange structurée. Ceinte d’une robe noire fermée jusqu’au cou, les bras tissés de dentelles arachnéennes. Il fait très chaud et la voir claquemurée dans ses vêtements est très troublant. Est-elle réelle? Elle s’assoit et allume une cigarette: Klaus Nomi, icône new wave des années 80, n’est pas loin. Le phrasé de Pauline Mayor est singulier, un chouia affecté, et la rencontre en vue du festival du Belluard (BBI), qui la programme ce dimanche, promet d’être particulière.

Peu connue du paysage culturel, Fribourgeoise, l’ex-collégienne de Sainte-Croix file à Paris sitôt obtenu son bachelor d’art (à l’ECAL en 2018). Pendant un an, elle travaille pour la communication d’une grande marque de haute couture de la capitale française. Mais à force de travailler constamment dans l’urgence, elle s’épuise. Un soir pourtant, elle franchit les portes du Centre culturel suisse. Elle assiste à une performance de la chorégraphe et danseuse autrichienne Teresa Vittuci. Elle en sort bouleversée. «Là je me suis dit que toute cette énergie que je mettais dans la mode, je devais maintenant l’engager dans mon rêve de théâtre», souffle-t-elle. Comédienne amateure depuis l’enfance, elle suit des cours au gré de ses envies et foule même les planches du Théâtre 2.21 à Lausanne il y a trois ans.

Des voix intérieures

Mais son projet, sa matière, elle la récolte depuis longtemps. Des années durant elle compile des bouts de textes, des chansons, des versets de la Bible, tout ce qui l’interpelle. Au final, un condensé de paroles, qu’elle choisit d’incarner: «Tous ces textes que je lis, que j’écris, j’ai envie qu’ils me traversent. Ce sont des voix qui s’enchaînent et moi, je dois trouver ma voie dans toutes ces voix.» Elle a la chance d’être guidée dans son solo par Joséphine de Weck, «une grande amie», et le metteur en scène Jean-Daniel Piguet. Son texte est prêt, elle sait où elle veut aller mais apprécie grandement ces soutiens. Volubile, elle poursuit: «C’est excitant, ces textes, c’est très intime, ça me passionne, ces voix qui m’obsèdent, qui reviennent, elles me mettent au sol.»

Pauline Mayor a le sens de la formule, certes, mais c’est plus profond. Il y a une sorte de possession en elle. La fêlure se devinant derrière ses histoires de versets, il fallait l’interroger sur le catholicisme. Un long blanc. Intense. On la sent ébranlée. Elle choisit ses mots avec soin. «J’ai longtemps cru en ces valeurs… toute une partie de ma vie, j’ai répété ces prières, tous les soirs. Sans en comprendre la violence. Maintenant, je comprends ce que je dis. Ça me révolte. Je suis en colère.» Elle poursuit: «Aujourd’hui ces mots engagent mon corps. C’est cathartique comme premier travail, c’est une envie brutale de dire et d’être sur scène. C’est une forme d’émancipation.»

Etrange étrangère

Pauline Mayor a grandi près de Romont, plus précisément à Villargiroud. Elle évoque ses études et sa découverte de Fribourg comme une libération. Parle avec une grande pudeur de son ancien professeur, Olivier Pitteloud, qui l’a guidée un temps en littérature. Qui lui a fait découvrir L’inespérée de Christian Bobin: «J’aurais voulu écrire ça. Mais je n’ai pas pu. Alors je le dis.» Elle convoque Maïa Izzo-Foulquier, l’artiste et activiste féministe, décédée volontaire en décembre 2019.

C’est son admiration pour cette dernière qui la rapproche de Laurence Wagner, la directrice du BBI. Elles se sont rencontrées à une soirée, chez des amis communs. Ça matche, comme on dit. Car, après sept années à Lausanne et son exil parisien, Pauline vit enfin à Fribourg. «C’est la première fois que je vis ici finalement! Je connais la ville, tout est simple. Et puis, il y a une énergie créatrice assez folle avec des lieux comme Fri Art, le BBI, WallStreet (ex-WallRiss). Il y a plein de choses qui se passent, c’est possible d’avoir une voix.»

En parlant de voix, entre phrasé précieux et look de diva, comment vit-elle son extravagance? Elle sourit: «Alors quand on vient de la campagne glânoise… ça a toujours été là mais c’est quelque chose que j’ai dû garder pour moi jusqu’à l’ECAL, où ça a explosé. D’un seul coup, je rencontrais des gens dont je partageais les centres d’intérêt, la même envie d’être en entier. Il y a une forme d’éclosion. Enfin être fière de soi en se distanciant de la douleur et de la souffrance.» Elle réfléchit et éclate de rire: «La première fois que j’ai rencontré Laurence (Wagner) elle m’a comparée à une Arielle Dombasle punk.» C’est exactement ça.

Attachante, pleine de mystère et de points d’interrogation, Pauline Mayor sera seule avec son micro dimanche, dans une forme de stand up/concert. Je ne sais plus si je dois rire ou pleurer, c’est la promesse d’une mise à nu pendant vingt minutes. Ce patchwork de mots, qui ont accompagné et accompagnent encore sa vie, promet d’emporter le public dans un spectacle puissant. Un flot, un flow d’émotions autour d’une soirée Voix féministes et activisme. Est-elle à l’aise d’être étiquetée ainsi? «Evidemment, s’enflamme-t-elle! Féministe, c’est un mot hyperenglobant, je veux honorer cette étiquette justement. Faire résonner ces voix de femmes correctement. Je sais que je ne sais pas être une femme. Mais je sais que je ne pourrais pas être une femme sans être féministe.»

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