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Les chroniques d'Angélique

Mon tête-à-tête avec «Top Models»

toc toc • On n’imagine pas où peut mener une encombrante fidélité à un feuilleton.

Katherine Kelly Lang: la valeureuse Brooke de «Top Models»…Gilles Toucas Photography/Gilles Toucas Photography All Rights Reserved (818) 788 7474

Angélique Eggenschwiler

Angélique Eggenschwiler

8 février 2016 à 13:34

Je traîne, comme tout le monde, quelques addictions tenaces. J’agrémente par exemple mon café, non sans défi, d’une cigarette. Petit noir que je déguste avec une joie discrètement compulsive.

J’avoue aussi quelques TOC, de ceux qui pimentent le quotidien de leur empire sournoisement extensible (j’ai déjà réitéré la montée du funiculaire afin de m’assurer qu’ils n’avaient pas retiré une marche à mon insu, conscience citoyenne oblige). Il y aurait bien encore cette relation curieuse à la térébenthine mais rien de méchant (trois ou quatre inhalations par jour maximum).

 

Tout est sous contrôle donc. A l’exception peut-être (aveu brutal mais j’agis sous recommandation thérapeutique) d’une encombrante fidélité à «Top Models», série familière, baptisée en général «feuilleton», et sécurisante de par son inébranlable ponctualité (le World Trade Center encore fumant, Ridge, imperturbable, maintient sa parade amoureuse à 18 h 25). Une faiblesse difficile à excuser, en particulier à 23 ans où la norme est à la fois étroite et inflexible (je pourrais éveiller les soupçons du gouvernement).

Cette compromettante assiduité nécessite des prétextes sans cesse renouvelés (crédibilité sociale exige) pour ménager ce tête-à-tête fébrile avec des acteurs d’un autre temps (au sens premier au vue de la pérennité suspecte du casting original) harmonieusement servis par un propos anachronique, puisé à l’idéal bourgeois d’une société en plein essor économique (légèreté sensiblement ébranlée depuis par une actualité moins engageante).

Futile, déconnecté voire malsain, le scénario déploie sa trame indolente sur fond d’incestes et d’intrigues délirantes (Brooke sur une île déserte, dévorant des baies hallucinogènes avec son gendre émoustillé par la valeureuse quinqua), chatouillant les rêves pailletés des petites filles, aujourd’hui retraitées, par-delà les sondes urinaires et l’ostéoporose (moins glamour sur les podiums).

Et j’en suis. Furtivement bien sûr, dans une intimité clandestine dérobée à la marche du monde, moulée dans mon plus beau peignoir (un rancard à Hollywood quand même) et prête à dégainer chips et kleenex. Une captivité taboue qui éveille parfois la nostalgie d’un âge tendre où l’on échangeait librement, dans l’intimité du salon familial, sur l’odieux machiavélisme de Stéphanie.

Et j’envie alors l’assurance décomplexée de ma grand-mère lorsqu’elle décline une invitation d’un solide et curieusement recevable (le privilège de l’âge, il en faut): «Ah non, à 18 h 25 y a mon feuilleton!» I

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