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Le mot de la fin

Chronique. Un sourire qui ne dit plus rien

Le mot de la fin

Dans le train comme ailleurs, personne n’est à l’abri de la solitude. Même accompagné. © Keystone

Angélique Eggenschwiler

Angélique Eggenschwiler

14 novembre 2023 à 16:00

Temps de lecture : 1 min

Tous deux sont montés dans le train à Yverdon. Pas vieux, une septantaine d’années peut-être. Elle parle beaucoup; une voix joviale, un peu maternelle, un peu maîtresse d’école. Lui ne dit rien. Il sourit. Les yeux joyeux, un peu humides comme le sont parfois les yeux de ceux qui sourient avec. Et c’est en souriant toujours qu’il l’interrompt: «Mais en fait, on va à Neuchâtel?»

Oui, ils vont à Neuchâtel, puis à Cernier, explique-t-elle. «Tu sais le bus qui s’arrête au bois, après on n’a plus qu’à traverser la route.» On voit qu’ils n’ont pas l’habitude de prendre le train. A son excitation à elle au moment d’embarquer, entre nervosité et concentration. Elle porte un sac à dos, comme les enfants en course d’école, lui a les mains libres. Trop tête en l’air, ça se devine, il l’oublierait en ramassant son sourire au sortir du train.

Elle discute, commente la journée: «Une belle journée, pas vrai?» Il sourit, elle répète, il pose une question, elle répète encore: «Cernier, je te l’ai dit!» La voix est sèche, dure, avec une note de désespoir dans les aigus. Elle tourne la tête, les yeux perdus dans l’immensité du lac de Neuchâtel, quelque part entre le port de Concise et le souvenir, lointain, de leur dernière conversation.

Ils s’éloignent

Quand je relève les miens, leurs cuisses ne se touchent plus. Elle s’est approchée de la fenêtre, quelques centimètres à peine, mais je vois bien que l’accoudoir lui lacère les hanches. Elle est à deux doigts, deux doigts et une double vitre de quitter le wagon. Descendre là, au milieu de nulle part, sauter du train en marche, s’écraser sur les rails, s’enfuir. Elle ne le fera pas. Parce qu’il continuerait à sourire.

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