Philippe Gardaz
21 mars 2016 à 14:26
«Le travail fut sa vie», dit-on parfois d’une personne qui a besogné sans relâche. Cette formule correspond à un sentiment bien helvétique: on considère chez nous que l’exercice durable d’une activité convenable, qu’elle soit rémunérée ou non, assure une incontestable légitimité sociale. C’est dans ce contexte que le peuple et les cantons suisses vont se prononcer en juin prochain sur l’initiative populaire proposant l’instauration d’un revenu de base inconditionnel, donc indépendant de toute activité, devant permettre à l’ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique. Un tel projet soulève bien sûr plusieurs questions délicates, à commencer par celles du financement et du montant d’une telle allocation automatique. Mais, en amont de ces problèmes concrets, des réflexions plus fondamentales sont inévitables, en particulier quant au principe d’un revenu inconditionnel.
Dans la tradition judéo-chrétienne, l’homme gagne son pain à la sueur de son front comme le dit la Genèse. C’est son destin actuel alors qu’à l’origine, il vivait dans le&discReturn Jardin d’Eden où tous les biens nécessaires étaient à sa disposition. Mais, si le travail est bien une charge, l’être humain a été créé pour cultiver la terre et la garder, c’est-à-dire pour valoriser l’ensemble de la création. Cette mission contribue à la satisfaction des hommes et des femmes en ce sens que dans cette fonction, ils sont et se sentent producteurs de richesses, matérielles ou immatérielles, donc de bien-être pour eux-mêmes et les autres. Il apparaît donc qu’au-delà ou malgré l’effort, le travail est aussi un facteur d’épanouissement conforme à la dignité humaine.
Ce rôle positif du travail humain est d’ailleurs indépendant du caractère, symbolique ou non, que l’on attribue au récit de la création du monde tel que la Genèse le fait. Ce retour aux sources nous montre que, dans la mesure où le revenu inconditionnel de base tend à libérer tout un chacun de la nécessité d’exercer une activité lucrative, il ne s’agit pas d’une mesure d’ordre économique seulement, mais d’une démarche fondamentale: le changement du paradigme de la destinée humaine.
On peut aussi se tourner vers le Concile Vatican II pour avoir un éclairage sur cette problématique. Après avoir souligné que la collaboration des citoyens reposant sur le sens de la responsabilité arrive à d’heureux résultats dans la vie publique, le concile remarque ceci: «Les citoyens, quant à eux, individuellement ou en association, doivent se garder de conférer à l’autorité publique une puissance trop grande, de réclamer de manière inopportune des avantages et des secours excessifs au point de diminuer le sens du devoir des personnes, des familles et des groupes sociaux» (GS 75).
Certes, ce texte ne vise pas précisément le revenu inconditionnel de base, mais il rappelle implicitement l’équilibre qu’il doit y avoir entre droits d’une part et devoirs de l’autre. Cet équilibre découle du principe de responsabilité qui est à la base de notre ordre social. La Constitution fédérale le rappelle d’ailleurs à son article 6: «Toute personne est responsable d’elle-même et contribue selon ses forces à l’accomplissement des tâches de l’Etat et de la société». I
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