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Pourquoi le Suisse s’exporte mal

A l’exemple de Natan Jurkovitz, les joueurs suisses peinent à susciter l’intérêt des clubs étrangers

Natan Jurkovitz, ici contre l’équipe slovaque de l’Inter Bratislava: «Partir, oui, mais pour gravir un échelon.»

4 mai 2020 à 19:58

Basketball » Agent de l’international suisse Jonathan Kazadi, Guillaume Althoffer est catégorique: «Natan Jurkovitz a tout pour réussir en France.» Or, pour l’heure, l’aîné des frères Jurkovitz, qui aspire à poursuivre sa carrière hors des frontières helvétiques depuis près de trois ans, n’a suscité qu’un intérêt poli de la part des clubs étrangers. «J’ai eu de bons contacts, mais cela n’a jamais été très loin», soupire le capitaine du Fribourg Olympic, club avec lequel il n’est plus sous contrat. Le Villarois de 25 ans sautera-t-il le pas cet été, comme Roberto Kovac (Cibona Zagreb puis IR Reykjavik) l’avait fait il y a bientôt une année? «Partir, oui, mais pour gravir un échelon», répond-il.

Jonathan Kazadi, qui portait le maillot de Lille Métropole avant la pandémie de Covid-19, Roberto Kovac mais aussi David Ramseyer (Aix-Maurienne, Pro B française), Nicolas Dos Santos (Besançon, National 1) ou encore Jérémy Landenbergue (Lorient, National 1), autant d’anciens joueurs suisses de SB League qui ont trouvé ailleurs chaussure à leur pied. Ils sont les exceptions qui confirment la règle, celle qui veut que le basketteur helvétique s’exporte mal. Pourquoi?

 

Un championnat trop hétérogène

 

Il se dit de la SB League qu’elle est un tremplin intéressant pour l’Américain qui sort de l’université et une plate-forme d’apprentissage appréciée des entraîneurs. Mais qu’elle souffre aussi d’un manque d’homogénéité crasse qui lui cause depuis toujours préjudice. «Une équipe comme Fribourg est une bonne équipe de Pro B française, elle pourrait même avoir sa place en Jeep Elite (la première division, ndlr). Mais d’autres formations suisses ne se maintiendraient même pas en National 1 (la troisième division). L’écart est trop grand. Difficile pour un recruteur de s’y retrouver», compare Guillaume Althoffer, qui parle encore d’effet de mode. «L’exemple de l’Américain Ronald March, qui a commencé sa carrière professionnelle à Vevey et qui a réussi une belle saison à Aix-Maurienne (17 points, 5 rebonds en 30 minutes de moyenne, ndlr), pourrait piquer la curiosité des clubs français et les encourager à regarder un peu plus du côté de la Suisse.»

Guillaume Althoffer le souhaite, lui qui avoue avoir cédé à un certain découragement. «Je suis agent depuis 17 ans et, au début, je conseillais bon nombre de joueurs suisses: Roman Imgrüth, Oliver Vogt, Vladimir Buscaglia ou Trésor Quidome. Depuis, j’ai levé le pied. Parce que j’ai eu trop d’échecs qui m’ont causé beaucoup de peine.»

 

Un manque d’infrastructures

 

Comment un directeur sportif recrute-t-il un joueur étranger? Il compulse des milliers de statistiques et se goinfre d’images. Après quoi seulement, il se renseignera plus précisément sur le candidat choisi en passant quelques coups de fil, à ses anciens employeurs notamment. «Stats et vidéos, il n’y a que ça, confirme l’agent savoyard. Mais, et j’exagère à peine, quand les matches sont filmés au caméscope, qui plus est dans des salles qui n’en sont pas, tu arrêtes vite sous peine d’avoir mal à la tête.» Ou quand la forme éclipse le fond. «Je peux faire un supermatch à Lucerne contre Swiss Central, mais les images seront inutilisables car il y a quinze mille lignes sur le sol», abonde Natan Jurkovitz, qui se dit «chanceux» de pouvoir évoluer à Saint-Léonard, «une vraie salle de basket». Chanceux, certes, mais une fois sur deux. «Pourquoi la Finlande a-t-elle dépassé la Suisse en termes d’exportations?, interroge Guillaume Althoffer. Parce qu’elle a décidé de faire un effort sur ses infrastructures. Même en Islande, un joueur donnera l’impression d’être deux fois plus fort qu’en Suisse!»

 

Un cocon difficile à quitter

 

Partir, c’est se mettre en danger. C’est aussi quitter une situation stable – pour ne pas écrire douillette – pour un statut autrement plus précaire. «En Suisse, un top joueur a grosso modo une chance sur deux de terminer la saison avec le titre de champion: soit c’est Fribourg, soit c’est Genève et, de temps en temps, Monthey. Il est bien rémunéré aussi, il ne faut pas se le cacher. Pourquoi sortirait-il de son cocon si c’est pour gagner la moitié moins, en tout cas la première année?» constate Guillaume Althoffer avant d’ajouter: «Accepter une baisse de salaire est une chose, mais accepter un statut d’étranger en est une autre. Tu deviens le gars qui reçoit des responsabilités et qui doit les assumer. Ce n’est pas si facile que cela.»

« En tant que joueur suisse, je suis conscient d’être ultraprotégé »

Natan Jurkovitz

Natan Jurkovitz est prêt à prendre ce risque: «En tant que joueur suisse, je suis conscient d’être ultraprotégé. Si je me rate, personne ne viendra me dire: bouge-toi les fesses! Ailleurs, bam! Je peux me faire «couper» après deux mauvais matches. C’est une pression qui peut être lourde à porter mais que j’ai envie de connaître un jour.»

 

Peu d’exemples à suivre

 

Vouloir pareil destin que Thabo Sefolosha (Houston) et Clint Capela (Atlanta), deux exceptions parmi les exceptions, serait se bercer d’illusions. Si le Suisse se montre parfois frileux ou hésitant, c’est aussi parce qu’il manque d’exemples à suivre. Jonathan Kazadi pourrait en être un. Mais le meneur bernois a toujours fait passer ses ambitions sportives avant la stabilité de l’emploi, raison pour laquelle sa condition de joueur importé reste menacée. «Aujourd’hui, il manque un modèle comme a pu l’être Harold Mrazek, quelqu’un qui a eu une vraie carrière à l’étranger (il a joué pendant cinq ans à Villeurbanne, ndlr) et qui a eu une vraie reconversion en Suisse», note Guillaume Althoffer.

Marcher dans les pas du «divin chauve» qui, comme lui, a été formé à Villars Basket avant de briller à Fribourg Olympic: Natan Jurkovitz ne demande que cela.

L’épisode 3 de notre podcast sportif «Temps mort», avec Nathan Jurkovitz


Etre encore plus patient que d’habitude

Les Américains Justin Roberson et Andre Williamson avaient profité de la vitrine que constitue la Ligue des champions pour rejoindre à l’été 2019 des championnats plus huppés que la SB League suisse. Le russe pour le premier, le lituanien pour le second. Le Sénégalais Babacar Touré n’avait pas manqué d’offres non plus. Quant à Natan Jurkovitz, il avait attiré l’œil de certains recruteurs aussi, mais attiré seulement. «Deux fois, des coaches étaient venus me parler directement après le match. Les contacts étaient bons, mais dès lors que mon agent a entrepris des discussions, je n’ai plus eu de nouvelles.» Depuis, le Villarois de 25 ans a mis sa destinée entre les mains d’un nouvel homme de confiance. Libre de tout contrat, il dit négocier avec d’autres clubs suisses que Fribourg Olympic avec, toujours dans un coin de la tête, l’envie d’exporter ses talents, multiples.

«A Fribourg, j’ai progressé en tant que joueur mais aussi en tant qu’humain. J’y ai gagné en leadership et l’endroit sera toujours attractif pour moi. Mais je vieillis gentiment et tant que je joue bien, je veux me donner une chance de partir à l’étranger», explique Natan Jurkovitz, dont la pandémie de Covid-19 n’arrange pas les desseins. «D’abord, reprend-il, je pense que les clubs vont vouloir régler les affaires courantes avant de préparer la saison suivante. Plus que d’habitude, il faudra se montrer patient, c’est pourquoi il est important pour moi d’avoir une clause de départ que je puisse activer le plus tard possible.» Son poste – à l’aile – l’incite d’autant plus à la prudence. «Généralement, les clubs cherchent en priorité un 5 (pivot) puis un meneur. Les ailiers n’arrivent qu’après. En plus, en venant de Suisse, je peux m’imaginer que je ne suis pas la priorité des directeurs sportifs…» PS

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