Prêches haineux «très marginaux»
Que révèlent les sermons controversés par rapport aux problèmes des musulmans en Suisse? Interview
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Igor Cardellini
11 février 2020 à 02:01
Islam » Le prédicateur Abu Ramadan ne prêchera plus dans la mosquée Ar’Rahman à Bienne. Le comité directeur de l’association de soutien lui a demandé d’y renoncer à la suite des révélations du Matin Dimanche sur son activité en son sein. Alors qu’il est déjà visé par plusieurs procédures pénales, notamment en raison de soupçons de discrimination raciale, des enregistrements montrent qu’il continue à prôner la violence. Hansjörg Schmid, directeur du Centre suisse islam et société (CSIS) de l’Université de Fribourg, évalue ce que ce nouveau cas révèle des problèmes et besoins de la communauté musulmane en Suisse.
Comment jugez-vous ce cas?
Hansjörg Schmid: La procédure pénale est en cours et je ne peux pas me prononcer, mais ce qu’on sait sur ces prêches, c’est qu’ils comportent de la haine et un manque criant de nuances. Il s’agit d’une approche qui correspond à une idéologie extrémiste opposant les «vrais musulmans» aux «mauvais musulmans» ou non-croyants. Une telle interprétation de l’islam rend tout dialogue et vivre-ensemble impossible.
Les responsables de la mosquée ont-ils été trop laxistes jusqu’ici?
Sans avoir suivi de près le dossier, je peux dire que les soutiens à la mosquée étaient confrontés à différentes positions et des conflits de loyauté. Ces divergences peuvent expliquer un retard dans la prise de position. Dans d’autres situations, où des associations cantonales fédèrent les petites structures, les interventions ont été plus rapides et plus fermes. Mais à Bienne, une telle structure n’existe pas.
En octobre, à Kriens, l’association lucernoise des musulmans s’est distanciée d’un imam soupçonné d’incitation à la violence contre les femmes. Y a-t-il multiplication des cas en Suisse?
Il y en a aussi eu un à Winterthour il y a deux ans, un à Genève et un à Bâle. Chaque cas est un cas de trop, c’est clair, mais sur 250 associations dans le pays, ça reste très marginal. Avec le recul, on remarque que ce type de dérives se produit plutôt dans les mosquées n’ayant pas d’imam fixe ni recruté formellement, mais des prêcheurs au statut plus ambigu de visiteur. C’est la plupart du temps le cas dans des associations isolées qui n’ont pas de contact avec le réseau musulman cantonal et les autorités étatiques. A Lucerne, il s’agissait d’une association très isolée où des idées radicales se sont fait une place.
A Bienne, l’association envisage d’autoriser des visites extérieures. A Lucerne, la faîtière a recommandé aux sept mosquées du canton d’enregistrer les prêches et d’être plus stricte pour le recrutement. Cette surveillance est-elle nécessaire?
L’imam joue un rôle public en plus de son rôle communautaire, ce qui demande d’être plus strict dans le recrutement. Les prêches sont des discours publics, avec toutes les responsabilités que cela implique en matière de respect des principes de l’Etat de droit. Je ne pense pas qu’il faut obliger l’enregistrement. Certains imams les rendent disponibles, mais une obligation renforcerait un climat de méfiance et représenterait même une discrimination vis-à-vis des autres religions. Ou alors, il faudrait leur imposer le même régime.
A Berne, l’imam Mustafa Memeti plaide depuis des années pour un contrôle étatique des mosquées et une formation en Suisse. Où en est-on?
Le contrôle étatique est important là où il y a des dérives. Mais des contrôles généralisés seraient contre-productifs et stigmatisants. Quant à la formation, c’est une question qui se pose, mais en ce moment, il n’est pas réaliste d’envisager un cursus complet. Le CSIS propose des formations continues de deux à trois jours depuis 2016 et dès septembre prochain une formation avec certificat sur l’aumônerie dans les institutions publiques. Les développements prennent du temps.
Faut-il durcir les conditions pour exercer en Suisse, et jusqu’où?
Il faudrait plutôt motiver les imams à se former et soutenir le financement des formations continues. Les communautés manquent de ressources et c’est un facteur qui les mène à se retrouver avec des personnes inadéquates.
Une meilleure fédération de la communauté ne faciliterait-elle pas un encadrement autonome adéquat?
Le développement de la structure associative musulmane en Suisse est globalement positif car moins politisé qu’en France ou en Allemagne, et il est moins dépendant de l’influence du pays d’origine des musulmans. Il est certain que l’existence de faîtières cantonales est un indicateur encourageant en matière d’intégration. C’est le cas dans le canton de Vaud, à Zurich, Bâle, en Argovie ou à Fribourg notamment.
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