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L'intelligence artificielle

Humain virtuel recrute

L’intelligence artificielle (IA) s’invite dans les entretiens d’embauche, avec ses avantages et ses risques

Jeune diplômée de l’Université de Lausanne, Giulia Svanascini teste pour la première fois un entretien d’embauche avec un humain virtuel.

 Sevan Pearson

Sevan Pearson

22 juillet 2019 à 00:48

Révolution numérique » «Bonjour. Heureux de vous rencontrer. Je suis le directeur des ressources humaines. C’est moi qui vais mener cet entretien avec vous. Pour commencer, j’aimerais que vous me parliez de votre carrière et de votre motivation pour le poste.»

N’importe quel responsable des ressources humaines pourrait entamer un entretien de cette façon. Mais là, il s’agit de mots prononcés par un recruteur virtuel qui parle au candidat depuis l’écran d’un ordinateur à l’Université de Lausanne.

«Nous sommes en train de développer l’humain virtuel pour l’assurance la Bâloise qui souhaite compléter son processus de recrutement avec un entretien standardisé», explique Marianne Schmid Mast, professeure de comportement organisationnel à la Faculté des Hautes Etudes commerciales (HEC). Démonstration avec Giulia Svanascini, diplômée de 29 ans à la recherche d’un emploi.

L’entretien d’embauche

La jeune femme découvre le programme pour la première fois. Elle s’installe devant l’ordinateur, un peu tendue. Face à elle, l’écran montre un bureau virtuel avec des étagères pleines de livres en arrière-plan. Un homme en costard avance avec une démarche un peu mécanique et vient s’installer sur une chaise, elle aussi virtuelle. Après une brève introduction, l’entretien débute.

«Quelle est votre plus grande réussite professionnelle?» L’humain virtuel qui a l’accent vaudois pose des questions types à la candidate. Celle-ci répond à la caméra intégrée à l’ordinateur. C’est la jeune femme qui décide quand elle souhaite passer à la question suivante. «Je ne trouve pas difficile de gérer le rythme de l’entretien», déclare Giulia Svanascini. «A un moment, j’ai même fait abstraction de la machine et je me sentais en situation d’entretien. Mais lorsque je me suis retrouvée en difficulté lors de la dernière question, j’aurais bien voulu pouvoir relancer le recruteur, lui demander des précisions.»

Et parler à une machine, n’est-ce pas dérangeant, voire humiliant? «Non, car tout entretien constitue une forme de test. En plus, il existe déjà des questionnaires à remplir à l’ordinateur», partage la jeune femme. «Globalement, je me suis sentie moins stressée face à la machine, sauf durant les moments de silence, plus gênants qu’avec un humain.»

«Globalement, je me suis sentie moins stressée face à la machine»

Giulia Svanascini

Qu’apporte cet agent conversationnel dans la sélection par rapport à un humain? «Il permet des entretiens standardisés et facilite les comparaisons», argumente Marianne Schmid Mast. Autre avantage: «Des études montrent que les personnes introverties donnent des réponses plus longues à l’humain virtuel qu’à un recruteur.»

Des risques de biais

Mais l’invention a aussi ses limites. «Même si chacun est traité de la même manière par l’humain virtuel, il peut exister un biais lorsque les questions sont préparées, car c’est l’entreprise utilisant le logiciel qui les définit», reconnaît Marianne Schmid Mast. Par ailleurs, parler à une machine peut être ressenti comme humiliant par le candidat. «Il est important de bien communiquer et d’expliquer les avantages de l’humain virtuel», estime la professeure.

Des avantages qui ont convaincu la Bâloise. «Nous allons intégrer l’humain virtuel à la dernière phase de notre processus de recrutement, en principe en 2020», indique par téléphone Valérie Kolecek, responsable des ressources humaines. «Nous souhaitons que tous les candidats aient les mêmes conditions et que nous puissions facilement opérer des comparaisons. L’entretien sera filmé et analysé par des recruteurs et non par des machines, mais il n’aura qu’un poids limité dans la décision d’engagement.»

Si l’humain virtuel est plus un outil dont le candidat garde le contrôle, d’autres logiciels recourent à l’intelligence artificielle (IA). Daniel Gatica-Perez, professeur à l’Institut Dalle Molle d’intelligence artificielle perceptive (IDIAP) à Martigny (VS) et à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), a développé un programme qui décortique les enregistrements vidéo des candidats. «Notre logiciel permet d’analyser la gestuelle, l’attitude et la voix du candidat», explique le chercheur. «Il réalise ensuite un profil avec des données comme l’intensité du son ou la vitesse et le volume de la voix.» Par exemple, le programme détecte si le candidat établit un contact visuel suffisant pour un poste nécessitant des contacts avec la clientèle.

L’humain décide toujours

Là également, il y a des risques. «C’est l’humain qui entraîne l’IA à décoder le comportement du candidat. Il peut donc lui inculquer des biais», reconnaît Daniel Gatica-Perez. A l’heure actuelle, les entreprises suisses sont plutôt frileuses quant à ces nouvelles technologies, contrairement aux firmes américaines.

«C’est l’humain qui entraîne l’IA à décoder le comportement du candidat»

Daniel Gatica-Perez

Humain virtuel, logiciels: le métier de recruteur serait-il condamné? «Ces outils vont au contraire rendre le travail des ressources humaines plus intéressant. La partie répétitive pourra être prise en charge par les machines», argumente Marianne Schmid Mast. «Les logiciels permettront au recruteur d’avoir un deuxième avis», renchérit Daniel Gatica-Perez. Mais les deux chercheurs sont d’accord: la décision finale doit toujours revenir à l’humain.

* Cet article est le deuxième volet de la série sur l’IA et les robots dans l’économie, l’agriculture et les services.

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