Des obstacles à l’antisexisme
Les élues fédérales regrettent une évolution des mentalités très lente. Mercredi, les sénateurs ont refusé une campagne étendue contre le sexisme. Tour d’horizon des projets discutés ou écartés sous la Coupole
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Xavier Lambiel
11 décembre 2020 à 02:01
Harcèlement » La conseillère nationale Léonore Porchet (verts, VD) sourit: «Le parlement a pris au sérieux ce problème qui dépassait les questions de genre.» Hier, le Conseil national a accepté l’élaboration d’un centre d’aide indépendant pour lutter contre les abus dans le sport. Il réagissait aux témoignages de huit gymnastes qui décrivaient les pressions psychiques et physiques systématiques de l’Ecole fédérale de sport de Macolin. Pour la parlementaire, «ce n’est qu’une petite victoire et il faut dire que nous ne faisons rien contre le harcèlement dans ce pays!»
La décision du jour cache une réalité plus amère. Même si les résultats semblent de plus en plus serrés, les interventions sur le harcèlement échouent souvent face au Conseil des Etats. La veille, Marianne Maret (pdc, VS) se décrivait «atterrée», et Lisa Mazzone (verts, GE), «très fâchée». Pour une seule voix, les sénateurs ont refusé une campagne de grande envergure contre le sexisme.
Johanna Gapany dit non
Soutenue par le gouvernement, cette proposition avait pourtant été acceptée par la seule commission des Etats composée d’une majorité de femmes. Marianne Maret soupire: «Je crois que mes collègues n’ont pas conscience des réalités quotidiennes». Lisa Mazzone acquiesce: «Nous créons des solidarités entre femmes dans ce bastion conservateur, et ce vote ressemble à une provocation.»
Plusieurs tentatives d’élaborer des outils de prévention avaient déjà échoué, mais à de plus larges majorités. Ce mercredi, l’absence de Céline Vara (verts, NE), qui sera bientôt maman, a pesé lourd. Seule femme à avoir voté contre la campagne antisexiste, la PLR fribourgeoise Johanna Gapany suscite l’incompréhension chez les sénatrices. Elle a ignoré nos sollicitations.
A l’origine de cette motion et forcément «triste», Regula Rytz (verts, BE) préfère retenir que «les fronts bougent» et promet de continuer à lutter contre le sexisme, «qui nourrit le harcèlement et les violences conjugales». Elle insiste: «Le droit a changé, mais les mentalités évoluent lentement et le problème de fond reste.»
La RTS ou l’EPFL
Au parlement, les vagues rose et verte des dernières élections ont favorisé les débats sur l’égalité. Aujourd’hui, le Conseil national compte 42% de femmes, contre 32% durant la législature précédente. Depuis le début de l’année 2020, ce sont environ 80 objets relatifs aux questions de genre qui ont été déposés aux Chambres fédérales.
Les Verts ont conquis 21 sièges supplémentaires sous la Coupole. C’est le parti qui compte le plus de femmes et qui intervient le plus souvent sur le harcèlement. Hier, leurs élues ont déposé six objets destinés à mettre la pression sur le Conseil fédéral à ce sujet. La Vaudoise Valentine Python s’inquiète de la culture sexiste de l’EPFL, et la Bernoise Aline Trede interpelle le gouvernement à propos de la RTS.
Ces prises de parole interviennent au moment où des témoignages secouent plusieurs grandes institutions suisses, comme la Banque nationale suisse, l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ou la Radio Télévision suisse (RTS). Dans les jours qui suivaient les révélations du Temps sur les dysfonctionnements de la RTS, le compte Instagram #SwissMediaToo publiait plus de 140 phrases sexistes. Il compte désormais plus de 7000 abonnés.
Pour Léonore Porchet, le directeur de la SSR, Gilles Marchand, doit partir. «C’est toute la culture de l’entreprise qui doit changer, mais il était le patron au moment des faits, et quand l’affaire a éclaté, sa réponse a été insuffisante.» Par ailleurs, neuf professionnelles des médias annonçaient, mercredi, la fondation du réseau Journalista, destiné à promouvoir un journalisme sans biais de genre dans le contenu et dans les rédactions.
Une norme pénale?
Mathias Reynard (ps, VS) milite pour l’égalité depuis 2011: «Même si les nouvelles Chambres sont un peu plus féminines, les mentalités évoluent très lentement et le parlement ne veut rien changer.» Il soupire: «J’ai obtenu une étude sur le harcèlement de rue et c’est ma seule vraie victoire sur le sujet.»
Comme il l’avait fait avec succès pour lutter contre l’homophobie, le socialiste vient de déposer une interpellation pour proposer d’ajouter le sexisme à l’article du Code pénal qui punit le racisme. «Je veux un plan d’action contre le harcèlement, qui doit à la fois inclure de la prévention et une clarification pénale.»
Directrice du Bureau fédéral de l’égalité, Sylvie Durrer travaille à l’élaboration d’une stratégie nationale pour les dix prochaines années. La lutte «contre la discrimination, le sexisme et la violence» figurera parmi les trois axes de ce document. Elle prévient: «La situation a évolué ces dernières années, mais l’expérience montre que sans une réelle volonté politique, et sans l’engagement de la société civile, elle stagnerait ou pourrait même régresser.»
Le combat continue
La semaine prochaine promet de nouveaux combats sur le sujet. Le nouveau budget de la Confédération entend augmenter les ressources du Bureau de l’égalité à hauteur de 3 millions de francs par année, dans le but de prévenir les violences à l’égard des femmes. Jeudi prochain, le Conseil national se prononcera sur un possible allégement du fardeau de la preuve pour les victimes de harcèlement sexuel. En juin dernier, il avait refusé une initiative assez similaire.
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