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Cette boîte magique mais illégale

Donnant accès à toutes les chaînes sportives payantes à moindre coût, l’IPTV n’a pas fini de faire jaser

L'IPTV, une télévision utilisée illégalement. photo: Lib / Charles Ellena, Posieux, 17.09.2020CHARLES ELLENA

 Pierre Schouwey

Pierre Schouwey

18 septembre 2020 à 04:01

Enquête » En 2020, pour voir du sport à la télévision, il faut passer à la caisse ou… tricher. Victimes de la surenchère à laquelle se livrent différents opérateurs pour l’obtention des droits de retransmission des compétitions les plus huppées (Ligue des champions, Premier League anglaise, Bundesliga, Super League, National League, NHL, NBA, NFL), ils sont de plus en plus de Suisses à se tourner vers l’IPTV. Dans sa version originelle, l’Internet Protocol Television offre la possibilité de regarder depuis son téléviseur, sa tablette ou son smartphone des contenus disponibles en streaming sur le web. Tout à fait réglementaire, cette technologie ne nécessite rien d’autre qu’une connexion internet – si possible puissante – et un boîtier, en vente dans la plupart des magasins d’électroménager.

Seulement voilà: détournée par des groupes mafieux qui encodent des signaux cryptés, l’IPTV permet également à ses utilisateurs d’accéder à des chaînes payantes via un abonnement défiant toute concurrence. «Il suffit d’acheter une box à 100 francs puis s’acquitter d’un montant annuel de 60 francs pour disposer de 7000 chaînes émanant de tous les pays du monde et d’un nombre infini de séries ou de films. Avant, j’étais chez Swisscom et je déboursais 65 francs par mois pour 400 chaînes», compare Killian*, un fan de sport désormais comblé. «Grâce à l’IPTV, pour laquelle j’ai quand même dû renforcer mon abonnement internet, je peux suivre tous les championnats que je souhaite à moindre coût.»

Un flou juridique

Pour profiter d’une offre aussi pléthorique sans passer par la télévision pirate, Killian serait obligé de souscrire différents abonnements chez plusieurs opérateurs, malgré le rapprochement récent entre Teleclub et MySports (lire ci-dessous), le tout pour une ardoise mensuelle dépassant les 250 francs, connexion internet comprise. Tout compte fait, le boulimique de sports à la télévision qui cède aux sirènes de l’IPTV économisera 2000 francs par année. Au moins.

D’où la tentation de frauder. Car oui, ces flux interdits font basculer Monsieur et Madame tout le monde dans l’illégalité, parfois sans le savoir. «L’utilisation illégale d’offres de télévision payante, quelle que soit la technologie de retransmission utilisée (IPTV ou câble par exemple), représente un vol de propriété intellectuelle et constitue donc un litige de droit privé qui peut être poursuivi pénalement», rappelle l’Office fédéral de la communication (OFCOM), qui précise qu’«aucune disposition de la loi sur les télécommunications ou de la loi sur la radio et la télévision ne porte sur cette question».

Préposé aux questions de droit d’auteur, l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI) répond ne posséder «ni la compétence, ni la base juridique pour prendre des mesures contre cette utilisation illégale». Faute de jurisprudence en la matière, le flou juridique s’invite jusque dans les études d’avocats helvétiques. «Il faut distinguer la personne qui met à disposition le contenu à des fins illicites et la personne qui en bénéficie», insiste Alain Alberini, avocat spécialisé en propriété intellectuelle et en droit du divertissement au sein du cabinet Sigma Legal.

«Pour le fournisseur, l’article 150 bis du Code pénal** pourra s’appliquer en plus des dispositions pénales prévues par la légalisation sur le droit d’auteur. Certains juristes considèrent que le même article pourra s’appliquer à l’acheteur, même si, à titre personnel, je pense que celui-ci sera davantage concerné par l’article 150 qui prévoit potentiellement une peine plus lourde.»

S’attaquer à la racine

En ce qui concerne la législation sur le droit d’auteur, sous la menace de peines pécuniaires pouvant aller jusqu’à 540 000 francs, les utilisateurs de l’IPTV piraté se cachent timidement derrière l’argument de l’usage privé. «On se retrouve dans la problématique des réseaux peer-to-peer (modèle d’échange en réseau où chaque entité est à la fois client et serveur, ndlr), pour lesquels une différence a été faite entre ceux qui mettent à disposition du contenu et ceux qui en téléchargent uniquement», contextualise Alain Alberini.

Encore faut-il que les titulaires de droits exclusifs, arrachés pour des millions voire des milliards de francs selon le pays et le sport, puissent et désirent déposer une plainte contre les transgresseurs en bout de chaîne. A défaut de pouvoir pincer les milliers de clients à travers le pays, ne faudrait-il pas faire un cas pour l’exemple afin de refroidir les autres consommateurs? Chez UPC, propriétaire de MySports, qui détient les droits du championnat de hockey sur glace, on reste à l’affût: «Nous nous réservons le droit de prendre des mesures légales si nous nous rendons compte que notre contenu est distribué de manière illégale.»

Reste que le salut de Canal +, BeIn et tous les autres acteurs, petits ou grands, de la télécommunication dépouillés de ses abonnés par l’IPTV passera par le démantèlement des organisations criminelles à la base du système. «Le problème, c’est qu’elles sont très difficiles à localiser et se trouvent souvent à l’étranger», souligne Alain Alberini. L’IPTV: une boîte magique qui n’a pas fini de faire jaser.

*Prénom d’emprunt

** Article 150 bis: «Celui qui aura fabriqué, importé, exporté, transporté, mis sur le marché ou installé des appareils dont les composants ou les programmes de traitement des données servent à décoder frauduleusement des programmes de télévision ou des services de télécommunication cryptés ou sont utilisés à cet effet sera, sur plainte, puni des arrêts ou de l’amende.»

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