Kambundji dans la cour des grands
Troisième du 200 m, la Bernoise offre à la Suisse sa première médaille dans une épreuve de sprint
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Gilles Mauron, Doha
3 octobre 2019 à 04:01
Athlétisme » Mujinga Kambundji a signé un exploit historique hier aux mondiaux de Doha. Troisième du 200 m en 22’’51, la Bernoise a offert à la Suisse sa première médaille dans une épreuve de sprint individuel lors d’un grand rendez-vous intercontinental, JO inclus. Cette médaille est simplement la huitième pour la Suisse dans des championnats du monde. Trois ont été glanées par le seul Werner Günthör (or au poids en 1987, 1991 et 1993), les autres ayant été conquises par André Bucher (or sur 800 m en 2001), Anita Weyermann (bronze sur 1500 m en 1997), Marcel Schelbert (bronze sur 400 m haies en 1999) et Viktor Röthlin (bronze au marathon en 2007).
Cette médaille de bronze vaut (presque) de l’or pour Mujinga Kambundji. Certes, elle avait déjà connu les honneurs d’un podium mondial, mais c’était sur 60 m en salle en 2018 (3e). Et le bronze décroché sur 100 m aux européens 2016 manquait de saveur, les meilleures Britanniques ayant renoncé à s’aligner à Amsterdam à quelques semaines des Jeux de Rio.
Les esprits chagrins ne manqueront pas de souligner les nombreux forfaits (Shelly-Ann Fraser-Pryce et Dafne Schippers avant les séries, Elaine Thompson avant les demi-finales) ainsi que l’absence du N°1 de la discipline en 2019, la Bahaméenne Shaunae Miller-Uibo (21’’74 cette saison), qui a opté pour le 400 m à Doha. Mais Mujinga Kambundji a eu l’immense mérite de saisir sa chance.
Un départ canon
La pression était pourtant grande sur ses épaules. D’une part, avec le 3e meilleur temps de la saison parmi les participantes à cette finale, la Bernoise faisait partie des candidates au podium. Comme c’était le cas lors des championnats d’Europe 2018, où elle avait terminé à trois reprises au 4e rang – sur 100, 200 et 4 x 100 m – avec à chaque fois moins d’un dixième de retard sur la 3e place.
Auteure d’un départ canon, Mujinga Kambundji – dont les premiers malheurs remontent aux européens 2014 (témoin perdu au départ de la finale du relais, 4e place déjà sur 100 m) – n’a cette fois-ci pas failli. Le titre n’a pas échappé à la Britannique Dina Asher-Smith (21’’88), triple championne d’Europe en titre et 2e du 100 m à Doha, alors que l’Américaine Brittany Brown s’est parée d’argent en 22’’22. Mujinga Kambundji s’est arrachée pour résister au retour d’Anglerne Annelus (4e en 22’’59) et s’offrir le bronze. ATS
Résultats
Doha. Finales. Messieurs. 110 m haies (+0,6 m/s): 1. Grant Holloway (USA) 13’’10. 2. Sergey Shubenkov (ANA/RUS) 13’’15. 3. Pascal Martinot-Lagarde (FRA) 13’’18. 4. Wenjun Xie (CHN) 13’’29. 5. Orlando Ortega (ESP) 13’’30. 6. Shane Brathwaite (BAR) 13’’61. Marteau: 1. Pawel Fajdek (POL) 80m50. 2. Quentin Bigot (FRA) 78m19. 3. Bence Halasz (HUN) 78m18.
Dames. 200 m (+0,9 m/s): 1. Dina Asher-Smith (GBR) 21’’88. 2. Brittany Brown (USA) 22’’22. 3. Mujinga Kambundji (SUI) 22’’51. 4. Anglerne Annelus (USA) 22’’59. 5. Dezerea Bryant (USA) 22’’63. 6. Gina Bass (NAM) 22’’71.
Demi-finales. Messieurs. 110 m haies. 2e série (+0,9 m/s): 1. Omar McLeod (JAM) 13’’08. Puis: 7. Jason Joseph (SUI) 13’’53. Joseph est éliminé avec le 13e temps des demi-finales.
Dames. 400 m haies. 3e série: 1. Sydney McLaughlin (USA) 53’’81. 2. Lea Sprunger (SUI) 54’’52. Lea Sprunger qualifiée pour la finale.
Lea Sprunger se hisse en finale
Lea Sprunger a atteint avec panache son premier objectif aux mondiaux de Doha. La Vaudoise a sorti le grand jeu hier, se qualifiant pour la finale de demain en signant son meilleur temps de l’année (54’’52). «J’ai livré une meilleure course que lors des séries», s’est réjouie Lea Sprunger, qui avait couru en 54’’98 la veille. «Mais il y a encore des choses à améliorer», a analysé la Ginginoise, qui s’est classée 2e de sa demi-finale. «Avec l’adrénaline et l’enjeu, ça ira encore plus vite en finale», a lâché la 5e des mondiaux 2017. Croit-elle en ses chances de médaille? «Quand on est en finale, ce serait bête de dire qu’on n’y croit pas», a-t-elle glissé, rayonnante.
Championne d’Europe 2018 de la spécialité, Lea Sprunger devra probablement battre le record de Suisse d’Anita Protti (54’’25) pour espérer se hisser sur le podium. Elle a réalisé le 8e temps parmi les huit finalistes. «Je suis sûr qu’elle peut améliorer le record de Suisse en finale», a souligné son coach Laurent Meuwly. ATS
«C’est une véritable explosion d’émotions»
Mujinga Kambundji affichait forcément son plus beau sourire au moment d’apparaître en zone mixte moins d’une heure après son exploit. «Je ne réalise pas encore ce que j’ai accompli. Je suis tellement contente et soulagée aussi», a lâché d’emblée la Bernoise. «Je savais que j’avais une chance à saisir. Je pensais que Dina (Asher-Smith, la nouvelle championne du monde, ndlr) serait devant, et qu’il y aurait une opportunité pour moi, car ce serait serré derrière», a expliqué Mujinga Kambundji, qui a pleinement profité des nombreux forfaits enregistrés sur ce 200 m.
«Je voulais faire la meilleure course possible, en me concentrant sur moi-même. J’étais d’ailleurs tellement concentrée que je n’ai pas réalisé tout de suite que ça suffisait pour le podium», a souri la Bernoise de 27 ans. «J’ai compris en regardant l’écran géant du stade», a-t-elle ajouté.
Mujinga Kambundji estime que c’est son attitude qui a fait la différence. «Je me réjouissais de disputer cette finale. Je voulais juste faire une super course», a-t-elle souligné, revenant ensuite sur ses mésaventures des européens de Berlin où elle avait terminé à trois reprises au 4e rang l’été dernier. «A Berlin, j’avais trop d’attentes. Je me disais «tu devrais faire une médaille». Là, je savais que c’était possible, et j’ai su courir sans me poser de questions», a encore expliqué la deuxième Suissesse à glaner une médaille dans des mondiaux en plein air. ATS
COMMENTAIRE
Le droit d’exulter en ce lendemain historique
Dans ce sport de géants, la Suisse a toujours l’impression de resquiller sa place. Il y a eu, voici cinquante ans, Philippe Clerc, champion d’Europe du 200 m, il y a eu Werner Günthör, le colosse, le titan qui portait sur ses épaules un boulet lourd comme l’honneur de la nation, il y a eu, plus près de nous, Rudi Bucher, sur le très aristocratique 800 m, et Viktor Röthlin, qui fractura les portes du marathon, cadenassées par les cerbères du Rift africain. Pour être exhaustif, il faudrait ajouter les noms de Marcel Schelbert sur le 400 m haies et d’Anita Weyermann sur le 1500 m. Et voilà, le compte est bon: sept médailles suisses dans toute l’histoire des championnats du monde, jusqu’à ce 2 octobre 2019 que les commentateurs de la télévision alémanique qualifièrent d’historique.
En ce 2 octobre 2019, dans un stade vide, où l’écho désolé des exploits semble se répercuter à l’infini, Mujinga Kambundji a remporté la médaille de bronze du 200 m. La première médaille de la Suisse dans des épreuves de sprint.
On peut y voir la conséquence d’une politique, celle menée depuis bientôt une dizaine d’années par la Fédération suisse d’athlétisme, lorsqu’elle sut qu’elle hébergerait en 2014 les championnats d’Europe. On peut y voir un heureux hasard, celui d’avoir accueilli, voici 43 ans, Safuka Kambundji, un Congolais qui trouva l’amour en terre bernoise et donna quatre filles à l’athlétisme suisse, quatre filles qui couraient vite… On peut aussi penser à ces compétitions pour écoliers qui sont organisées depuis la nuit des temps: il y a l’UBS Kids Cup, le 1000 Gruyère, et bien sûr le Sprint Migros, qui désigna Mujinga Kambundji parmi les 50 000 enfants qui y participèrent. Jusqu’à l’âge de 15 ans, Mujinga se qualifia pour cinq finales suisses, avec quatre victoires à la clé. Une plongée aléatoire dans les archives de cette compétition nous apprend qu’en 2005, alors âgée de 13 ans, Mujinga Kambundji s’imposa sur le 80 m dans le temps de 10’05, avec 37 centièmes d’avance sur la deuxième. La Suisse a hérité d’un talent mondial. Son mérite fut de le révéler. Mujinga Kambundji s’est surtout construite par elle-même: elle a claqué la porte du relais 4x100 m, qu’elle jugeait néfaste à sa progression; elle s’est exilée en Allemagne, à Mannheim d’abord, puis aux Pays-Bas et depuis une année, elle s’entraîne à Londres, sous l’autorité de Steve Fudge.
L’athlétisme suisse est si avare de médailles qu’il ne peut rien revendiquer, mais au lendemain d’une date historique, il a le droit d’exulter. jean Ammann
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