Elle plaide pour des directions mixtes
La recruteuse de cadres féminins Sigolène Chavane était l’invitée de la fédération patronale, hier à Bulle
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Stéphane Sanchez
15 juin 2022 à 04:01
Emploi » Hier, jour de grève féministe, la Fédération patronale et économique discutait management inclusif et égalité. Sous l’impulsion du Bureau de l’égalité hommes-femmes et de la famille, elle recevait à Bulle la conférencière Sigolène Chavane, cofondatrice du cabinet suisse Artemia, spécialisé dans le recrutement de femmes cadres, directrices ou membres de conseil d’administration. Créé en 2018, Artemia se profile comme le premier cabinet expert sur les questions de genre et de diversité. «Il y a suffisamment de sociétés qui ont envie d’avancer sur ce sujet. Mais il y a aussi beaucoup de résistances, la peur de perdre des privilèges invisibles à ceux qui les détiennent», explique la consultante à La Liberté.
Quel est l’état des lieux, selon vous?
«Tous ces talents perdus, c’est du gâchis.»
Sigolène Chavane
Sigolène Chavane: En 2021, aucune entreprise suisse cotée en Bourse n’était dirigée par une femme. En 2017, au niveau national, les femmes occupaient 77% des postes de travail et moins de 37% des postes de cadres, dans le domaine de la santé, où elles sont le mieux représentées. Dans toutes les branches, on observe aujourd’hui encore ce plafond de verre, alors que cela fait plus de vingt ans qu’il y a davantage de femmes diplômées du supérieur que d’hommes.
Tous ces talents perdus, c’est du gâchis. Surtout en sachant que vers 2028, près de 40% des managers actuelles (la génération du baby-boom) seront à la retraite. Mais c’est aussi une perte financière. Une étude de l’institut McKinsey montre qu’une équipe de direction mixte génère 21% de marge EBIT (bénéfice avant intérêts et impôts, ndlr) de plus qu’une équipe non mixte. Quel patron n’en rêverait pas?
Comment expliquer ce bénéfice de la mixité?
Certainement pas par le «fait» que les femmes apporteraient une touche merveilleusement douce et empathique. Pour favoriser cette mixité, ces entreprises ont développé une culture ouverte, inclusive et humaniste qui attire et garde les talents, et leur permet de progresser. Cette mixité des cadres, la diversité de leur expérience de vie et de leurs points de vue, aboutit à des décisions stratégiques plus pertinentes, plus innovantes et mieux challengées. Ce gain d’intelligence collective et d’agilité aura toujours plus d’importance pour maintenir la viabilité des entreprises et pour répondre aux attentes des nouvelles générations de cadres.
Donc, la mixité ne se décrète pas.
«La mixité des cadres aboutit à des décisions stratégiques plus pertinentes.»
Sigolène Chavane
En effet. On considère qu’il y a mixité lorsqu’une équipe compte au moins 30% de femmes et 30% d’hommes: sans quoi la parole isolée est catégorisée «femme», et sans impact. La mixité n’est durable que dans une culture où chacun se sent exister et peut s’identifier à l’organisation. Cela suppose par exemple de concilier vie professionnelle et vie privée, carrière et temps partiel, de jouer avec le télétravail ou la flexibilité des horaires. Des patrons me disent que leurs collaboratrices ne veulent pas progresser. Pourquoi? Le management se met-il en question? Il y a tellement de petits processus qu’on peut repenser pour être plus inclusif. Sans parler du sexisme ordinaire, qui insulte et marginalise les femmes.
Comment agir, selon vous?
Il est impossible de réfléchir sur toute cette organisation en plein daily business. Et il faut aussi accompagner les équipes, communiquer, expliquer que tout le monde va y gagner. Les petites PME n’ont pas toujours la possibilité de se payer un cabinet d’experts ou de recrutement. Mais elles peuvent comme les grandes sociétés désigner un groupe de travail mixte, à l’interne, pour réfléchir à ces questions. Il y a par ailleurs toutes sortes de biais cognitifs qui perturbent les entretiens d’embauche ou d’évaluation. Il faut en prendre conscience.
Quels sont ces biais?
La présomption d’incompétence des femmes. Le biais de confirmation pousse le recruteur à traquer des signes de cette incompétence, ce qu’on ne fait pas avec les hommes. Il y a aussi cette «menace» de la grossesse et des priorités familiales. Pourtant, toutes les femmes ne rêvent pas de famille. Et bien des cadres masculins aspirent à sortir de la logique sacrificielle du leadership axé sur le présentéisme. J’ajouterais un autre préjugé: les femmes ne seraient pas capables de prendre des responsabilités et d’avoir de l’autorité.
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