«On n’est pas qu’un corps gros»
Avec Yes2Bodies, la Bernoise Melanie Dellenbach espère sensibiliser davantage sur la grossophobie
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Selver Kabacalman
8 septembre 2020 à 04:01
Enveloppe » Insultes, regards désapprobateurs, remarques désobligeantes et jugements de valeur, ces attitudes et comportements qui stigmatisent et discriminent les personnes en surcharge pondérale forment ce que l’on appelle la grossophobie. Disqualification à l’emploi, mauvais traitement de la part d’un médecin ou ostracisation par la société, les conséquences pour les personnes qui en souffrent peuvent être très graves. De nombreux témoignages repris par la presse en ont déjà fait l’écho. Malgré cela, la grossophobie reste relativement taboue en Suisse. Militant pour le body respect, la fat activist bernoise Melanie Dellenbach veut contrer ce phénomène en créant sa propre association. Interview.
En quoi consiste votre initiative?
Melanie Dellenbach: L’objectif de Yes2Bodies est de sensibiliser aux stigmatisations et discriminations liées au poids et de créer une nouvelle culture autour du respect du corps en Suisse. L’association n’est pas encore tout à fait prête. Avec l’arrivée du Covid-19, j’ai pris un peu de retard. Mais elle sera basée à Berne, où une petite communauté est déjà très active. L’un des objectifs de Yes2Bodies sera de créer une journée annuelle dédiée au respect du corps ainsi que d’alimenter régulièrement un site internet pour informer mais aussi rendre les personnes grosses visibles, car elles ne sont pas représentées dans les médias. Le but sera aussi de lutter pour les droits fondamentaux de ces personnes. Enfin, de créer un changement de paradigme, passer d’une vision normative du poids à une vision plus inclusive.
Qu’est-ce qui vous a motivée à vous investir dans cette démarche?
Je suis une femme grosse et je l’ai été tout au long de ma vie d’adulte. C’est l’une des raisons principales. Je me définis comme grosse et non pas en surpoids ou obèse, ce sont deux termes que je refuse d’utiliser. Aussi, j’ai tenu pendant quatre ans un blog de mode grande taille. Activité que j’ai cessée car je suis devenue mère. J’ai passé un an aux Etats-Unis et j’y ai découvert l’approche HAES (Health at Every Size), qui encourage les soins inclusifs et respectueux quelle que soit la taille des personnes. Là-bas, je me suis aussi intéressée au mouvement social du fat activism (activisme des gros, ndlr). En Suisse, malgré les années qui passent, je m’aperçois que rien ne se met en place. La grossophobie est pourtant aussi présente et l’avenir m’effraie. J’ai une fille de sept ans et je souhaiterais qu’elle grandisse dans un monde où elle se sent respectée et en sécurité.
Comment se manifeste la grossophobie?
Elle se manifeste sous diverses formes. Mais elle est partout. Cela va des micro-agressions, comme des remarques dans les transports, à des agressions plus frontales. Elle est malheureusement normalisée. Il n’y a pas beaucoup de conscientisation autour de cela. En revanche, nous savons beaucoup de choses et nous devons transmettre ces connaissances. Nous savons que les enfants ou les jeunes adultes gros sont très susceptibles d’être harcelés en raison de leur charge pondérale. Nous savons aussi que les enseignants ont moins d’attentes vis-à-vis des enfants gros et leur donnent de moins bonnes notes pour le même résultat qu’aurait accompli un enfant mince. Les nombreux témoignages des personnes concernées nous montrent aussi que le corps médical ne prend pas correctement en charge les personnes grosses. Trop souvent, elles ont peur d’aller chez le médecin ou annulent leurs rendez-vous pour éviter les phrases du type «perdez d’abord du poids» ou «oui tout va bien, mais il faudrait quand même vraiment perdre des kilos».
De nombreuses personnes ont un passif avec des régimes amaigrissants qui ont souvent échoué et les remarques de ce type ne sont d’aucune utilité. C’est même plus nocif qu’autre chose. Sur le plan médical, je suis privilégiée car je suis infirmière et quand je vais chez le médecin, je mets en avant mes compétences professionnelles et je dis clairement que je travaille sur les questions de discrimination. Je pense que cela m’aide à recevoir les traitements appropriés.
D’autres secteurs de la vie sont touchés. L’emploi, mais aussi la mode. Il est difficile de se vêtir quand on est gros. Il n’y a quasi pas de vêtements pour les personnes rondes. A Berne, par exemple, il y a très peu de magasins grande taille. Même les grandes chaînes comme H & M suppriment les sections grande taille de leurs rayons ou ne les mettent en tout cas pas dans des magasins situés en plein centre-ville.
Que faudrait-il faire pour que la situation change?
Il faut sensibiliser, informer, mais aussi montrer la diversité des corps et exiger leur respect. Nous devons expliquer que maltraiter les gros n’est pas quelque chose d’acceptable. En tant que société, nous devons lutter contre toute forme de discrimination, car tant que nous mettons une partie de la société à l’écart, nous n’allons nulle part. Nous ne pouvons pas progresser. Nous devons être clairs sur le fait qu’aucune discrimination envers les personnes grosses n’a sa place dans nos écoles, nos hôpitaux, nos lieux de travail. Nous devons expliquer que les personnes grosses ne se résument pas qu’à leur corps enveloppé. Nous sommes gros, certes, mais nous ne sommes pas que cela. Ensuite, il faut aussi comprendre que la santé est un sujet complexe. Qu’elle a aussi beaucoup à voir avec le fait d’être traité avec respect et dignité. Nous avons tous le droit de recevoir des soins médicaux adaptés. Nous avons tous, en tant que société, une responsabilité de prendre soin les uns des autres et de se traiter mutuellement avec respect.
Mais la situation n’est-elle pas meilleure aujourd’hui qu’il y a dix ans? Il y a tout de même des mouvements de bodypositivity, par exemple. Les activistes sont de plus en plus nombreux, notamment sur les réseaux sociaux.
Pas nécessairement. Ces mouvements sont très petits et axent davantage sur la beauté d’un corps gros que sur le respect de nos droits fondamentaux. Cet aspect est encore trop mis de côté. Le Courrier
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