Et si on arrêtait le progrès?
A Vidy-Lausanne, Rébecca Balestra, Tomas Gonzalez et Igor Cardellini questionnent notre aliénation par les machines. Avec exubérance
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Elisabeth Haas
15 mai 2021 à 04:01
Théâtre » Leur duo tient le haut de l’affiche au Théâtre de Vidy pour la première fois. Ils auraient déjà dû donner L’Age d’or, trois visites guidées jouées hors-les-murs, reportées à cause de la pandémie. Mais ils font tout de même coup double ces prochaines semaines: Tomas Gonzalez et Igor Cardellini recréent Showroom du 19 au 29 mai, avec Rébecca Balestra, et présentent le volet rescapé de L’Age d’or, à voir dès le 19 juin à Lausanne.
Tomas Gonzalez est comédien et metteur en scène, formé à la Manufacture, la Haute Ecole des arts de la scène, où il enseigne désormais. Igor Cardellini est notre collègue à La Liberté, il œuvre également au sein du comité du Festival du Belluard. Leur complicité artistique, pour l'écriture et la mise en scène, dure depuis plus de six ans. Avant L’Age d’or, ils se sont fait connaître avec O.V.N.I. et le solo Je m’appelle Tomas Gonzalez et nous avons 60 min. Le trio Balestra/Gonzalez/Cardellini, lui, a déjà signé Self-Help. La diffusion de leurs pièces est déjà romande et notamment française et belge. Des tournées en Angleterre, au Portugal ou encore au Brésil se précisent.
Au musée des inutiles
Avec ces deux propositions complémentaires, leur pratique s’ancre résolument dans des préoccupations sociétales: «Le point de vue sociologique est au cœur de notre travail, oui», approuve Tomas Gonzalez. Showroom, plus particulièrement, s’intéresse à tous ces emplois promis à être automatisés, redéfinis par des machines dans un avenir pas si lointain. «On parle du remplacement de certains types d’emplois au nom du progrès», pose le metteur en scène. «Mais en quoi est-ce un progrès? Et quel impact a cette notion de progrès sur nous, sur notre façon d’envisager l’histoire et le temps?»
En imaginant «un musée» qui «garderait la mémoire de ces inutiles au progrès», de ces «résidus de la productivité», la pièce déconstruit cette notion dangereusement linéaire qui laisse les individus et l’écologie sur le carreau. «On a tendance à penser aux caissières, aux chauffeurs de taxi. Mais le cercle des métiers menacés ne cesse de s'élargir.» L’intelligence artificielle permet déjà de remplacer les journalistes pour rédiger des comptes rendus… Et demain? «Beaucoup de métiers sont voués à l’automatisation», constate Tomas Gonzalez, qui ne fait qu’un pas pour en mesurer les conséquences: «Quelle est la viabilité du modèle du salariat contemporain?»
En pied de nez au poids de ces réflexions, on devine sous l’anglicisme spectaculaire, Showroom, un désir follement théâtral et exubérant. Histoire de «transposer l’aliénation de l’humain par la machine dans un dispositif sensible», le trio s’est nourri, notamment, des essais Abondance et liberté du philosophe Pierre Charbonnier, Homo Domesticus de l’anthropologue James C. Scott ou encore du Manifeste Cyborg de l'auteure féministe Donna Harraway. Mais le ton et la forme seront résolument décalés. Car le spectacle tient aussi au talent et à la présence scénique de Rébecca Balestra. Sachant son charisme, on peine à l’imaginer muséifiée au milieu des objets d’une luxuriante scénographie...
Showroom, à voir au Théâtre de Vidy, à Lausanne, du 19 au 29 mai.
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