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Un pas de plus vers la guerre

En reconnaissant lundi les républiques autoproclamées de Lougansk et de Donetsk, Vladimir Poutine crée une nouvelle situation géopolitique pleine d’incertitudes, tandis que la Russie subit les premières sanctions


 Sevan Pearson

Sevan Pearson

23 février 2022 à 02:01

Conflit russo-ukrainien » Aurait-on atteint une voie sans issue dans le conflit russo-ukrainien? La reconnaissance des républiques autoproclamées de Lougansk et de Donetsk, dans l’est de l’Ukraine, par la Russie lundi réduit en effet davantage encore les espoirs d’un règlement négocié.

1 Comment en est-on arrivé là?

Interdire tout élargissement de l’Otan ainsi que la création de bases militaires américaines dans les pays de l’ex-espace soviétique: telles étaient les deux exigences principales de Vladimir Poutine, un «véritable ultimatum lancé aux Occidentaux qui ne pouvaient que refuser», analyse Korine Amacher, professeure d’histoire russe et soviétique à l’Université de Genève. Le président russe considère qu’il n’a pas été entendu. Mais comme l’ultimatum était impossible à satisfaire, cela ne pouvait conduire qu’à un blocage de la situation.

«La reconnaissance de l’indépendance de ces deux républiques autoproclamées constitue avant tout une déclaration de l’échec des accords de Minsk», juge André Liebich, professeur honoraire d’histoire et politique internationales à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève. «Les Russes et Emmanuel Macron avaient placé de grands espoirs dans ce processus, qui prévoyait une désescalade par étapes.» Au programme: désarmement des milices des deux républiques autoproclamées et retrait des troupes ukrainiennes de la zone. «Or Russes et Ukrainiens n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur l’ordre dans lequel procéder», explique le spécialiste.

Pour Korine Amacher, avec cette reconnaissance, «Vladimir Poutine peut considérer qu’il n’envahit pas vraiment l’Ukraine, tout en grignotant tout de même son territoire. Cela équivaut à une déclaration de guerre, puisque Moscou considère que les deux territoires ne font pas partie de l’Ukraine, ce qui est évidemment contesté tant par Kiev qu’au niveau international. C’est donc un véritable tournant.»

2 Quid de la présence militaire russe?

André Liebich ne pense pas que la présence de troupes russes dans les deux républiques autoproclamées soit «le prélude à une invasion du reste de l’Ukraine. Elles seront là sous le prétexte de protéger les populations civiles.».

Pour Korine Amacher, une question importante se pose maintenant. «Vladimir Poutine a reconnu les deux républiques, mais de quels territoires parle-t-on? S’agit-il de ceux contrôlés par les séparatistes ou de l’entier des deux provinces, selon le découpage administratif ukrainien (environ 8000 km2, soit la taille de la Corse pour environ 3,5 millions d’habitants, ndlr)? Dans le deuxième cas, cela impliquerait le risque de combats avec l’armée ukrainienne pour prendre des territoires actuellement sous contrôle ukrainien.»

3 A quoi s’attendre ces prochains jours?

«Vladimir Poutine cherche à faire croire que les territoires séparatistes sont victimes d’attaques ukrainiennes», note Korine Amacher. «Ce n’est donc pas un hasard si le président ukrainien Zelensky martèle que son armée n’interviendra pas pour reprendre ces territoires, et que leur réintégration ne pourra se faire que pacifiquement.» Selon l’historienne, le président russe préparerait le terrain pour justifier une intervention, comme il l’avait fait en 2014. Mais impossible de dire jusqu’où ira Moscou.

Pour André Liebich, Vladimir Poutine n’a pas l’intention de conquérir davantage de territoires. «Il veut arriver à ses fins sans guerre, par la diplomatie, quitte à faire pression sur le terrain. Washington souhaite une action militaire préventive en Ukraine, afin de renforcer la cohésion de l’Otan et de mettre fin au gazoduc Nord Stream 2. Or les Etats-Unis ne se rendent pas compte de ce que signifie une guerre pour la région, sans parler du risque d’escalade entre deux superpuissances qui concentrent 90% des armes nucléaires», s’alarme l’historien.

4 Quels moyens de pression sur Moscou?

Les Européens sont assez divisés. «Des pays comme la Pologne et la Roumanie souhaitent une réponse armée. L’Allemagne et la France sont plus prudentes et veulent éviter d’être instrumentalisées par les Etats-Unis. Ce qui est sûr, c’est que Vladimir Poutine a réussi à diviser l’Otan, tandis que Joe Biden n’a pas atteint son objectif de renforcer la cohésion de cette alliance», analyse André Liebich.

Quoi qu’il en soit, une première sanction a été prise hier. Olaf Scholz a en effet annoncé la suspension de la certification de Nord Stream 2, le gazoduc sous-marin achevé en septembre dernier et qui relie directement la Russie à l’Allemagne. L’avis «favorable» donné au projet et qui concluait que ce dernier ne constituait pas de risque pour la sécurité nationale est annulé. Un «réexamen politique» est prévu. Le blocage de la mise aux normes juridiques et administratives européennes stoppe net la mise en service. Par ailleurs, tout comme le conflit, le réexamen des conditions géopolitiques devrait durer et risque fort d’être défavorable à l’exploitation de Nord Stream 2.

Cette décision allemande montre que la Russie pourrait ne pas être gagnante sur le long terme, car l’Europe va chercher d’autres sources de gaz. «Cela prendra du temps, mais on va dans cette direction», affirme Korine Amacher, qui rappelle que si l’Europe dépend de la Russie, Moscou dépend aussi des Européens pour exporter ses énergies fossiles.

Avec Thomas Schnee, Berlin

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