Sauvé après cent heures
Un adulte a été extrait quatre jours après le séisme par une équipe suisse. Le chef Yves Steiger raconte
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11 février 2023 à 02:01
Turquie » Après 100 heures passées sous les décombres, le pourcentage de chances de survie se compte sur les doigts d’une main. Celle de cet homme de 37 ans sauvé hier matin par le Groupe d’interventions et de secours (USAR-GIS). Quatre jours après le séisme qui a ravagé le sud de la Turquie et le nord de la Syrie et fait 22 300 morts, selon le dernier bilan, l’équipe détachée par cette ONG franco-suisse a réussi à dégager ce miraculé, à Elbistan, une ville qui comptait 140 000 habitants avant le tremblement de terre.
A l’œuvre depuis son arrivée mardi soir, l’équipe de 15 personnes, dont des sauveteurs déblayants et des médecins multitâches, cherche encore des survivants dans l’urgence. En fin de mission, le chef des opérations, le Gruérien de Marsens Yves Steiger, décrit cette course contre la montre dans laquelle chaque minute compte.
Comment avez-vous localisé ce survivant?
Yves Steiger: Nous avons reçu jeudi matin une information pertinente sur la présence d’une personne vivante coincée dans un immeuble de sept étages qui s’est effondré en «mille-feuille», c’est-à-dire avec des étages écrasés les uns sur les autres, complètement compressés. Il aurait envoyé un SMS à des proches pour signaler sa présence. Après une expertise du bâtiment, nous avons décidé d’intervenir, en faisant travailler notre chien Onyx.
C’est le chien qui l’a repéré?
Oui, il a «marqué» un endroit. Il n’y avait pourtant aucun signe de vie. Puis nous avons déblayé à la main avant de sécuriser l’accès, en créant un «cône de décombres» pour évoluer pas à pas. Nous avons libéré le passage et le chien a retravaillé dessus avant de confirmer la présence de la victime. Mais l’opération a été compliquée et risquée. Il nous a fallu 25 heures pour extraire la personne.
Pourquoi est-ce si dangereux?
En raison de l’instabilité de la structure. Il y a eu un écrasement de bâtiments composés de dalles en béton armé notamment. A chaque fois que vous enlevez des éléments, il y a un risque de déstabilisation et d’écroulement. C’est pourquoi il faut analyser l’état du bâtiment et de l’environnement avant chaque intervention pour éviter qu’un «suraccident» ne se produise.
Vous avez encore espoir de trouver d’autres survivants?
Ce sauvetage montre qu’il y a encore de l’espoir. Il faut y croire, mais les chances de trouver des gens vivants s’amenuisent d’heure en heure. Le gros problème, c’est la déshydratation. En revanche, si une personne a un accès à l’eau et à la nourriture, si elle a un moral d’acier et une force de caractère, il y a encore des chances. Mais là, c’est le dernier moment.
Y a-t-il un facteur aggravant dans cette catastrophe par rapport à d’autres séismes?
Clairement le froid. C’est ce qui nous a surpris par rapport à ce que nous avions connu à Haïti en 2010 ou au Népal en 2015. L’adulte que nous avons sauvé était bloqué dans une poche de survie où il pouvait respirer sans trop subir les poussières. Plus ces victimes sont coincées en profondeur dans les décombres, moins il y a de risque d’hypothermie. D’ailleurs, nous avons été très étonnés de sa vaillance.
Le froid complique-t-il les opérations?
Oui. Pour sortir cet adulte, l’équipe a travaillé toute la nuit à –14 °C. Et avec la neige, c’est en plus glissant. Plus le temps avance et plus nous nous rendons compte que dans ces conditions d’interventions extrêmes, il y a de plus en plus de situations trop dangereuses. Dans les décombres, des éléments peuvent encore s’écrouler. Il ne faut pas oublier qu’il y a tous les quarts d’heure ou demi-heure une petite réplique. On ressent des secousses de 4-5 sur l’échelle de Richter quotidiennement.
A partir de quel moment considérerez-vous que vous ne pouvez plus sauver des vies?
Les autorités ont commencé à engager des grosses pelleteuses. C’est un signe qu’on ne va plus chercher des survivants. Elles ont fait un choix. C’est aussi le signe que c’est fini pour nous. On devrait rentrer au plus tôt ce samedi et au plus tard dimanche. Nous avons presque fini notre mission, qui était de faire du déblaiement et du sauvetage dans l’urgence.
Pour quel bilan?
Nous avons opéré dans une douzaine de bâtiments, extrait un survivant, participé au dégagement d’habitants décédés et localisé d’autres personnes mais sans résultat.
Que retenez-vous de cette opération?
La formidable entraide sur place. La population se met à disposition, aide à traduire, allume des feux. Des habitants d’autres régions aussi: des gens venus d’Ankara nous ont donné un soutien logistique. Et les équipes de secours collaborent aussi. Les premiers jours, nous avons travaillé avec des professionnels d’une autre ville turque. A d’autres, nous avons mis à disposition notre chien, des caméras. Il faut noter aussi qu’il n’y a pas eu d’entraves ou de difficultés à accéder au secteur que nous ont attribué les autorités à Elbistan, là où la réplique a fait beaucoup de dégâts. Entre 80 et 90% de bâtiments de la ville ont été fortement touchés et 50% détruits. Il y a encore beaucoup de travail.
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