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Monde

Dissonances autour du char Leopard

La Pologne annonce vouloir réexporter ses blindés vers l’Ukraine, quelle que soit la décision de Berlin


Thomas Schnee, Berlin

Thomas Schnee, Berlin

24 janvier 2023 à 02:01

Guerre en Ukraine » L’espoir soulevé chez les alliés de l’Ukraine par les déclarations de la ministre des Affaires étrangères allemande Annalena Baerbock est vite retombé hier matin. Dimanche soir, elle avait, semble-t-il, laissé miroiter le feu vert de Berlin sur les livraisons indirectes de chars Leopard 2 à Kiev. La Pologne et la Finlande ont en effet proposé de livrer des chars qu’elles possèdent, mais les deux pays ont besoin de l’agrément officiel de Berlin en vue d’une réexportation.

Le lendemain, le chancelier Olaf Scholz n’a pas confirmé les propos de sa ministre. Présente hier matin à une réunion de l’UE, cette dernière n’a pour sa part pas commenté ses propos tenus sur la chaîne française LCI. Et le porte-parole de la Chancellerie fédérale Steffen Hebestreit s’est contenté de déclarer que si «le gouvernement fédéral n’exclut pas que des chars Leopard soient livrés, il n’a pas encore décidé s’il allait le faire maintenant».

Le «feu vert» de Baerbock

Dimanche soir, les médias français et étrangers avaient pourtant cru comprendre tout autre chose lors de l’interview conjointe des ministres française et allemande des Affaires étrangères. Le journaliste Darius Rochebin avait alors demandé à Mme Baerbock si elle était favorable à autoriser des pays tiers comme la Pologne ou la Finlande à livrer leurs chars allemands à l’Ukraine.

«Si on nous posait la question, nous ne nous opposerions pas», avait alors déclaré la ministre écologiste, qui gouverne en coalition avec les sociaux-démocrates (SPD) d’Olaf Scholz et les libéraux (FDP). «Pour l’instant, la question n’a pas été posée» par la Pologne, tenue de faire une demande officielle à Berlin, avait aussi précisé Mme Baerbock.

Cette déclaration a été d’abord considérée comme une annonce claire de l’Allemagne en faveur des livraisons de chars. Mais il n’en est rien. La ministre, membre du parti écologiste, a en réalité exprimé une position que son parti et le Parti libéral défendent depuis longtemps. Mais c’est au chancelier social-démocrate, déjà critiqué pour ses hésitations par ses alliés européens et américains, et au Conseil fédéral de sécurité, qu’il revient de prendre une décision sur les réexportations d’armes.

Ce faisant, Mme Baerbock a souligné le flou qui règne à Berlin sur l’aide militaire depuis le début du conflit bien que Berlin n’ait pas rien fait pour l’Ukraine: 2,3 milliards d’euros d’aide militaire allemande ont été livrés à Kiev. Dimanche soir, le nouveau ministre de la Défense Boris Pistorius (SPD) a annoncé un milliard d’euros supplémentaire. Mais que ce soit pour les lance-roquettes, les munitions diverses, les chars Gepard et Marder, les véhicules de transport de troupes blindés Dingo ou encore les batteries radars antiartillerie et antiaériennes (Iris-T), chaque décision semble avoir été extorquée.

Scholz sur la sellette

«A chaque fois, l’Allemagne communique mal et apparaît comme hésitante et imprévisible. On retrouve toujours le même schéma pour les livraisons d’armes: d’abord un refus discret, puis une défense véhémente de la position initiale, et enfin un gouvernement qui change d’avis», analyse Sophia Besch, chercheuse à la Fondation Carnegie pour la paix internationale.

Du côté des Verts et des libéraux, la méthode Scholz passe mal. Vendredi dernier, après les atermoiements allemands à l’issue de la réunion de Ramstein, la présidente de la commission de la défense, Marie-Agnes Strack-Zimmermann (fdp), n’y est pas allée de main morte: «L’histoire nous regarde et l’Allemagne vient malheureusement d’échouer», a-t-elle estimé. Quant à Agnieszka Brugger, vice-présidente du groupe parlementaire écologiste au Bundestag, elle pense que «nos hésitations font le jeu du criminel de guerre Poutine, qui prépare entre-temps une nouvelle offensive terrible à grande échelle contre les populations innocentes d’Ukraine».

Les deux partis considèrent que seule la victoire de l’Ukraine et le retrait de la Russie des territoires occupés peuvent permettre de conduire à un règlement durable et solide dans la région et non à une fausse paix ou «conflit gelé», prêt à se réchauffer selon le bon vouloir de M. Poutine. Au bout du compte, l’analyse du SPD, le parti du chancelier, n’est pas très différente. A la différence près que ce dernier continue de tout faire pour éviter un engagement direct et surtout isolé de son pays (Alleingang).

Peur de l’engrenage

«Les mêmes qui demandent aujourd’hui de faire cavalier seul avec des chars de combat lourds crieront demain pour des avions ou des troupes», a critiqué ce week-end le chef du groupe parlementaire SPD Rolf Mützenich en estimant que son parti contribue «à éviter une nouvelle guerre froide par une politique responsable».

En attendant, les Polonais s’apprêtent à brusquer le prudent chancelier allemand, accusé par d’autres de diviser les Européens. Le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a d’ailleurs expliqué hier que son pays allait demander l’autorisation de réexportation à l’Allemagne mais que celle-ci était secondaire. «Même si nous n’obtenons pas leur accord, nous donnerons nos chars à l’Ukraine dans le cadre d’une petite coalition», y compris «si l’Allemagne n’en fait pas partie».

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