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Vaud

«Cela visait à me faire taire»

Une ex-cadre de Nestlé reconnue victime de harcèlement moral. L’entreprise disculpée


Achille Karangwa

Achille Karangwa

2 mars 2019 à 02:01

Mobbing » Le combat continue. Directrice de la sécurité alimentaire chez Nestlé durant les années 2000, Yasmine Motarjemi est en conflit avec le géant agroalimentaire de Vevey depuis son licenciement, survenu en 2010. Elle dénonce le harcèlement moral de son ancien supérieur direct depuis 2006 et accuse également l’entreprise d’avoir failli à sa protection.

Fin janvier, dans la motivation d’un verdict rendu l’été dernier, la Chambre patrimoniale cantonale reconnaissait les torts de son ancien chef, mais disculpait Nestlé. La multinationale aurait pris à l’époque les mesures nécessaires. Celle-ci se dit «satisfaite» de ce résultat et assure prendre au sérieux les questions de harcèlement. En désaccord, Yasmine Motarjemi dépose un recours auprès du Tribunal cantonal, huit ans après sa plainte initiale. Rencontre.

 

C’est un procès à rebondissements. Comment analysez-vous cette nouvelle étape?

Yasmine Motarjemi: On reconnaît que j’ai été mobbée, mais on me refuse des dédommagements au motif que je n’aurais pas accepté les mesures prises par Nestlé, comme les offres de transfert. Ces propositions étaient des voies de garage: des postes humiliants, des tâches ingrates ou impossibles à exécuter. En 2009, j’avais pourtant accepté, à condition qu’il y ait un audit de la sécurité des aliments à l’interne. Le harcèlement subi, jamais reconnu par Nestlé, était une forme de représailles face aux dysfonctionnements que je dénonçais à l’interne concernant la sécurité alimentaire. On voulait me pousser dehors, à la faute, ou au suicide.

 

Pourtant, ce n’est pas un procès sur la sécurité alimentaire...

Dans le cadre de mon procès pour harcèlement, j’ai soulevé les questions de sécurité alimentaire car ce mobbing visait à me faire taire. Le fait qu’on m’empêche de faire mon travail représente, en soi, un risque sanitaire: quand vous liez les mains du pilote d’un avion, qu’est-ce qui arrive? Mais je n’avais pas les moyens de faire deux procès. De plus, ce n’est pas moi qui suis victime de certains produits. C’est aux consommateurs de porter plainte et aux autorités de santé publique d’examiner les entreprises. Là où j’étais lésée et pouvais porter plainte, c’était le harcèlement. Ma lettre de licenciement mentionne bien que j’ai été renvoyée car l’entreprise et moi avions deux visions différentes sur ce sujet.

 

Comment ce conflit s’est-il transformé en harcèlement?

Mon chef est arrivé juste après un grand scandale dans lequel Nestlé a dû retirer du lait infantile de plusieurs pays car il contenait des traces d’encre, l’affaire ITX (2005). Ce nouveau supérieur avait moins d’estime pour les questions de santé publique que moi, qui venais de l’Organisation mondiale de la santé. A la même époque, Nestlé a lié les bonus des cadres au retrait (ou non) de marchandises du marché, ce qui incite à ne pas les ôter lorsqu’un problème peut être mis sous le tapis.

Dans ce contexte, la sécurité alimentaire passe au second plan et ma fonction de directrice de ce secteur devient une menace pour les managers. Mes recommandations étaient en contradiction avec leurs intérêts. On a donc commencé à m’ostraciser en arrêtant de me consulter, à m’isoler et à m’enlever mes équipes. Et finalement, à me dénigrer continuellement ou à me discréditer. Ce mobbing, c’était aussi un avertissement aux autres personnes qui veulent dénoncer des dysfonctionnements: malheur à celui par qui les problèmes arrivent.

Comment voyez-vous la suite?

Je suis contente que le tribunal ait reconnu le harcèlement. Mais cela concerne aussi le comportement odieux d’une entreprise. Harceler la directrice de sécurité des aliments pendant quatre années, alors qu’elle rapporte des dysfonctionnements dans le domaine alimentaire, puis la licencier et garder en place le harceleur, sans aucune sanction, montre un comportement monstrueux.

Lorsque j’ai porté plainte après mon licenciement, ce n’était pas seulement pour moi, mais aussi pour que le public puisse être sensibilisé. Je fais donc recours contre cette décision. Je la trouve dangereuse car elle va contre toute la tendance actuelle qui tend à protéger doublement les lanceurs d’alerte. Malheureusement, il n’y a pas de loi en ce sens en Suisse. Ce verdict n’est pas à la hauteur des enjeux, à savoir: la sécurité des aliments, la protection des consommateurs à travers le monde et le respect des droits humains.

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