Logo

Canton

Panser des blessures invisibles

Avec l’arrivée des réfugiés venus d’Ukraine se pose la question de la gestion du stress post-traumatique. Le canton de Fribourg va accroître ses capacités de prise en charge

Alors que les Ukrainiens arrivent dans le canton de Fribourg (ici le 21 mars à Morat), le canton s’attend à une hausse importante de demandes de soutien psychologique.

 Lise-Marie Piller

Lise-Marie Piller

26 mars 2022 à 02:01

Psychologie » «Notre cœur est brisé. Chaque jour, notre pays est transformé en ruines. Des enfants, des femmes, des personnes âgées et nos hommes sont tués. Il est impossible de regarder cela sans larmes. La guerre est un stress énorme. Tous les Ukrainiens ont besoin d’un soutien psychologique.» Ce cri du cœur, c’est celui de Katya et Yuliia, deux jeunes réfugiées hébergées par une famille broyarde.

On ne sort en effet pas indemne d’un conflit armé. L'esprit prend des coups et la probabilité de présenter un trouble du stress post-traumatique (TSPT) est élevée, selon Florence Guenot, responsable du service de psychologie au Réseau fribourgeois de santé mentale (RFSM) et spécialiste en psychologie d’urgence et psychotraumatologie. Sébastien Schmid, président de l’association Solidarité Broye-Ukraine, le constate aussi: «J’ai l’impression que les membres de la famille de ma femme, que nous hébergeons, gardent tout à l’intérieur. Ils parlent très difficilement de ce qu’ils ont vécu. Cela fait tout de suite remonter les émotions. «Comment ça va» n’est par exemple pas une question à poser. Alors je les prends dans mes bras, je fais comme je peux.» Son épouse Khrystyna a déjà vu des réfugiés pâlir et tomber à la renverse à cause du bruit, ou un enfant être perturbé par le grondement d’un avion. Elle ne sait pas trop où rediriger les demandes de soutien psychologique, la langue étant une barrière difficile à surmonter.

Un Sarinois se sent tout aussi démuni: «On n’est pas préparé. J’essaie de ne pas poser trop de questions, de faire comme si la vie continuait et de rendre les choses faciles aux trois personnes que j’héberge. Quand on les regarde de loin, ça va, mais je les sens très marqués.» Et c’est sans parler des inquiétudes des réfugiés par rapport à l’avenir. Il y a aussi la peur de faire faux, comme l’indique une habitante de Fribourg.

La situation inquiète aussi les députées socialistes Chantal Pythoud-Gaillard (Bulle) et Erika Schnyder (Villars-sur-Glâne), qui ont récemment déposé une question sur la prise en charge des victimes de la guerre en Ukraine.

Séance pour des familles

Il faut donc agir. Car un TSPT non traité peut déboucher sur l’isolement, la dépression, des dépendances à l’alcool ou à d’autres substances, ou pire. Le canton est en train de s’organiser pour accroître ses capacités de prise en charge psychologique, en coordination avec les médecins et partenaires concernés, tels que le RFSM, selon Claudia Lauper, secrétaire générale de la Direction de la santé et des affaires sociales. Le médecin cantonal adjoint Christophe Monney précise que tous les réfugiés sont vus par des infirmiers à leur arrivée. Ceci afin de détecter d’éventuels problèmes de santé à prendre urgemment en charge. Un bilan de santé plus poussé a lieu dans un second temps. Il permet entre autres de connaître les antécédents médicaux, les troubles somatiques ou psychiques, le traitement médicamenteux et le statut vaccinal. S’il y a besoin, les personnes peuvent ensuite être redirigées vers un professionnel de la santé.

Une séance en ligne a aussi eu lieu la semaine dernière avec des familles qui se sont annoncées pour accueillir des réfugiés. Différentes possibilités de prise en charge et des personnes de contact ont été présentées. Du côté des écoles, des dispositifs ont déjà été mis en place, selon Marianne Meyer Genilloud, secrétaire générale adjointe auprès de la Direction de la formation et des affaires culturelles: «Nos enseignants FLS (c’est-à-dire qui enseignent le français et l’allemand à des enfants qui ne parlent ni le français ni l’allemand, ndlr) sont sensibilisés à cette question. Les services scolaires de psychologie pourront également intervenir en cas de besoin.»

Interprètes recherchés

Le RFSM se prépare aussi. A priori, l’idée est que des spécialistes se rendent directement dans les structures où des Ukrainiens sont hébergés, ou reçoivent dans leurs locaux ceux qui vivent dans des familles. «Du personnel supplémentaire va être engagé aux urgences psychiatriques», explique Isabelle Gothuey, médecin directrice du secteur de psychiatrie et psychothérapie au RFSM. Elle rappelle que le réseau connaît ce genre de prise en charge, auquel il avait déjà été confronté lors de la guerre en Syrie.

Le grand enjeu sera la langue. «Quelques collègues parlent le russe ou l’ukrainien, mais nous allons nous mettre rapidement en quête d’interprètes. Il faut traduire exactement ce que disent le patient et le psychiatre, c’est un métier en soi», explique Isabelle Gothuey. L’autre défi sera de tenir le choc, car les demandes en soins psychiatriques de la part de Fribourgeois inquiets de la guerre et de la pandémie augmentent fortement ces derniers temps. «Le personnel est aussi passablement épuisé par deux années de crise Covid», explique Battiste Cesa, responsable du Service médias et communication du RFSM.

Reste que c’est le calme avant la tempête. Il n’y a eu qu’une dizaine de demandes de réfugiés ukrainiens depuis la semaine passée. «Il faut laisser les gens arriver, se reposer et s’occuper ensuite de leur santé mentale. On voit les symptômes du traumatisme apparaître dans le mois qui suit l’événement», explique Isabelle Gothuey. Avant cela, les réactions ne sont en effet pas considérées comme des TSPT, mais des consultations sont déjà possibles. Il y a aussi le fait que les personnes les plus traumatisées ne sont pas encore arrivées, selon Christophe Monney.

Diverses prises en charge

Quant aux prises en charge, elles diffèrent selon les tranches d’âge et les vécus, selon Florence Guenot. L’idée est d’abord d’offrir un espace d’écoute sans forcer la parole, en se basant sur les ressources des personnes: «Il s’agit de savoir comment elles ont géré des situations de crises par le passé.» Le but est aussi de rassurer, en expliquant les différents symptômes liés au traumatisme. «Ensuite, nous essayons de faire diminuer ces réactions physiologiques en donnant des conseils pour que la personne s’apaise et prenne conscience qu’elle est en sécurité.» La dernière étape, si elle est nécessaire, est une thérapie.

A noter que tous les réfugiés ne montrent pas des signes de traumatismes, comme en témoignent plusieurs interviewés, précisant par exemple que ceux qu'ils hébergent ont quitté l'Ukraine tôt. Florence Guenot ajoute: «Certains arrivent parfois rapidement à digérer les événements et à faire preuve de résilience.»

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus