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Suisse

Volte-face du PS sur les avions?

Changement parmi les socialistes: des élus romands, dont le président Levrat, plaident désormais pour 100% de compensations industrielles des jets de combat. Ils prennent ainsi le contrepied de leur parti


 Philippe Boeglin

Philippe Boeglin

18 septembre 2019 à 04:01

Armée » «Le PS rejette les affaires compensatoires, qui renchérissent massivement les achats d’armement sans gain d’utilité.» Durant la consultation sur l’achat des avions de combat, les socialistes ne voulaient pas entendre parler des affaires compensatoires, ces mandats que le constructeur étranger doit confier en contrepartie aux entreprises suisses. C’était il y a un an. Aujourd’hui, les avis ont évolué au sein du parti à la rose.

Plusieurs élus romands, dont le président Christian Levrat, appuient désormais les compensations industrielles. Certains appellent même à les relever à 100%, contre l’avis du Conseil fédéral et de la ministre de la Défense Viola Amherd (pdc), qui souhaitent les limiter à 60%. La différence est considérable, quand on sait que le projet Air2030 est devisé à 6 milliards de francs pour les seuls jets de chasse.

«Romands défavorisés»

«Sur le fond, je suis opposé au projet d’achat d’avions de combat pour 6 milliards de francs, c’est plus du double de ce qui est raisonnable. Nous pouvons nous contenter de moins d’avions et d’appareils plus légers et moins chers», affirme le patron socialiste Christian Levrat (FR), partisan des 100% de compensations. «Mais si on fait cette dépense publique, alors il est indispensable que l’industrie en profite, et que les entreprises romandes ne soient pas prétéritées, ce qui est le cas dans le projet du Conseil fédéral.»

Economie romande défavorisée? C’est ce qu’avancent les milieux industriels (voir ci-contre), fustigeant le taux de 60% désiré par Viola Amherd. La conseillère fédérale, consciente que les affaires compensatoires (offsets en anglais) font grimper les prix des avions, a choisi de raboter le taux de 100% voulu par son prédécesseur Guy Parmelin (udc). Avec 60%, les compensations ne seraient accordées qu’aux entreprises actives dans l’armement ou la sécurité. C’est justement ce que veut Viola Amherd: pas question que tous les contribuables paient plus et que cela ne bénéficie qu’à des secteurs industriels particuliers n’ayant aucun lien direct avec la défense.

Le problème, c’est que le tissu économique romand ne détient que peu d’industries d’armement ou de sécurité. Pour l’intégrer au cercle des heureux élus, il faut donc passer à 100% d’affaires compensatoires, afin d’ouvrir la porte aux produits civils (aérospatial, informatique, technique). Les gouvernements romands ont dernièrement donné de la voix en ce sens, en écrivant à la commission de sécurité du Conseil des Etats. Ils ont de toute évidence trouvé de nouveaux alliés chez les socialistes francophones.

«Je suis partisane d’une Suisse sans avions, mais si le peuple débourse 6 milliards, alors il faut qu’il en retire quelque chose. Et la Suisse romande aussi, elle ne doit pas être le dindon de la farce!» lance la conseillère nationale socialiste Brigitte Crottaz (VD), rejointe par son camarade genevois Carlo Sommaruga: «Cette acquisition génère des sommes gigantesques dont on n’a pas besoin. Il faut donc absolument un retour en Suisse romande, au moins à concurrence du PIB romand. 60 ou 100%, ce n’est pas l’enjeu principal.»

Pratique «particulière»

Citant également l’économie romande, le conseiller national Samuel Bendahan (ps, VD), «privilégie les 100% d’affaires compensatoires si le budget du projet reste inchangé, ce qui est le cas aujourd’hui, même si ma préférence, c’est de renoncer aux compensations et de diminuer nettement le budget global».

Vice-présidente du PS, la Vaudoise Ada Marra ajoute que «si le projet se réalise, et il y a de grandes probabilités que cela soit le cas, alors la Suisse romande doit tirer son épingle du jeu». La conseillère nationale émet cependant des réserves. «Les offsets constituent une pratique très particulière, car elles permettent à un constructeur étranger de décider de la politique industrielle en Suisse, voire éventuellement d’acheter des voix.» Faisant part d’un souci similaire, Carlo Sommaruga prévient que «les compensations ne doivent pas déterminer le crédit financier et le choix de l’avion».

Electoralisme?

Tout cela contredit la position officielle du Parti socialiste. Le virage pris par ces socialistes romands est-il électoraliste, à un mois des élections? Tous nient et soulignent leur volonté de ne pas prétériter la Suisse romande. Le président Christian Levrat, conseiller aux Etats fribourgeois, assure que sa «position aurait été la même il y a 3 ou 4 ans… J’ai toujours été clair avec mon parti sur les affaires cantonales, qui ont la priorité en cas de divergence avec le PS.»

Pourtant, dans la consultation sur le projet du Conseil fédéral, il y a une année, les camarades s’opposaient clairement aux compensations industrielles. Ils notaient que, selon le Département fédéral de la défense, les surcoûts dûs aux affaires compensatoires s’élevaient à 10%. «Avec un montant d’acquisition de 8 milliards de francs (le budget total, avions et défense sol-air réunis, ndlr), d’énormes frais supplémentaires de 800 millions d’argent public seraient générés pour un programme de politique industrielle aléatoire. Aléatoire, parce qu’il laisse aux fournisseurs étrangers la liberté de choisir avec qui ils coopèrent.»

Les quelques socialistes romands qui défendent l’avis inverse arriveront-ils à retourner leurs collègues? «Je m’y emploierai, annonce le président Christian Levrat. Mais il ne sera pas facile de convaincre l’ensemble du parti.» Prochaine étape: mardi 24 septembre pour le débat en plénum au Conseil des Etats.

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