Prévenir un black-out
Le Conseil fédéral souhaite constituer des réserves hydroélectriques, puis bâtir des centrales à gaz
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Xavier Lambiel
18 février 2022 à 02:01
Energie » «La sécurité de l’approvisionnement en hiver est une priorité.» Hier, la ministre de l’Energie Simonetta Sommaruga a dévoilé la solution du Conseil fédéral face à la menace d’un black-out. Il s’agit de constituer une réserve hydroélectrique dès l’hiver prochain. En échange de rémunérations, le gouvernement propose aux barragistes d’économiser l’eau pour se préparer à affronter d’éventuelles urgences. Pour les mêmes raisons, il projette aussi la construction de deux ou trois centrales à gaz. Pour Werner Luginbühl, qui dirige la Commission fédérale de l’électricité (ElCom), «la combinaison entre centrales de secours et réserves hydroélectriques est la solution qui s’impose pour réduire au minimum le risque de pénurie».
Il y a deux semaines, la ministre de l’Energie avait déjà présenté un projet de voie de recours unique, pour accélérer les procédures qui retardent les nouveaux projets hydroélectriques ou éoliens. Depuis des mois, son département travaille à des solutions pour limiter les conséquences de l’abandon des négociations d’un accord-cadre avec l’Union européenne. Les Etats membres devront réserver 70% de leur production au marché intérieur, et la Suisse pourrait donc connaître des difficultés à importer de l’électricité.
En octobre dernier, le ministre de l’Economie Guy Parmelin avait appelé les 30 000 entreprises qui consomment plus d’une centaine de mégawatts chaque année à se préparer à des pénuries pour 2025. Elles pourraient devoir limiter leur production alors que certains services publics devraient réduire leurs prestations. Depuis, les partis de droite ont suscité un intense débat sur l’opportunité de bâtir de nouvelles centrales nucléaires.
L’intérêt des barragistes
Le projet de Simonetta Sommaruga ne mettra pas fin à cette dispute qui devrait agiter longtemps le parlement. Il vise plutôt à éviter un black-out à court terme. Selon les scénarios les plus pessimistes de l’ElCom, envisageant des pannes simultanées dans plusieurs grandes centrales durant l’hiver, la pénurie pourrait durer quelques heures, voire quelques jours.
Le problème reste systémique. La Suisse produit plus d’électricité qu’elle n’en utilise durant l’été, mais elle ne génère pas toujours ce dont elle a besoin en hiver. Les mois de mars et avril sont les plus critiques pour la sécurité de l’approvisionnement, parce que les lacs de retenue sont vides. Ainsi, le président des entreprises électriques suisses Michael Wider confiait déjà dans nos colonnes que «nous devons garder des réserves».
Selon nos informations, le Conseil fédéral compte donc demander aux producteurs d’hydroélectricité de conserver un stock qui pourrait atteindre 1000 gigawattheures (GWh) pour la fin de l’hiver, ce qui représente presque les deux tiers de la capacité de la Grande-Dixence, le plus important barrage du pays. Habitués à turbiner leurs eaux au moment où les prix sont les plus élevés, durant l’automne, les hydroélectriciens suisses produisent entre 37 000 et 40 000 GWh chaque année, dont près du tiers en Valais.
Directeur général des Forces motrices valaisannes, Stéphane Maret considère que le projet du Conseil fédéral constitue à la fois «une belle reconnaissance pour la force hydraulique et une nouvelle opportunité de marché pour les grandes centrales à accumulation».
La Confédération devrait lancer cette procédure pour la première fois l’automne prochain. Elle sera ensuite annualisée. Second producteur d’électricité du pays, Alpiq se dit intéressé à y participer. Pour le responsable de la production hydraulique de la société, Amédée Murisier, «nous soutenons cette idée, qui est utile pour améliorer la sécurité de l’approvisionnement». Il ne cache pas que «cette réserve permet aussi une diversification qui sécurise une partie des recettes».
Les modalités des mécanismes d’indemnisation ne sont pas encore connues. Pour le cadre d’Alpiq, «des compensations sont logiques parce que nous ne pourrons pas utiliser cette énergie avant la fin de l’hiver, et que les prix sont moins intéressants au printemps». Il insiste: «Nous ne gagnerons pas plus d’argent.»
Centrales à gaz de retour
Le département de Simonetta Sommaruga a aussi été chargé par le gouvernement d’élaborer les dispositions nécessaires à la construction de centrales à gaz, qui ne devraient être utilisées qu’en dernier recours. La Bernoise sourit: «En principe, nous avons des assurances et nous ne les utilisons pas, mais elles nous donnent une sécurité.»
Le projet de l’ElCom entend produire 1000 GWh et utiliser des infrastructures déjà existantes. Estimé à des montants entre 700 et 900 millions de francs, il doit aussi rester «climatiquement neutre», mais par le truchement de compensations à l’étranger. Parmi les sites potentiels envisagés, Werner Luginbühl cite l’ancienne usine de Chavalon (VS). Longtemps, une centrale à gaz avait été imaginée sur le site, avant que l’idée soit abandonnée en 2017.
Avec l’adoption de la Stratégie énergétique 2050, de nombreux observateurs pensaient que ce type de centrales était devenu obsolète. Mais le contexte a changé dans l’intervalle. Ces derniers mois, plusieurs groupes d’intérêt ont proposé des centrales à gaz pour faire face à d’éventuelles pénuries d’électricité. Dubitatifs, les spécialistes relèvent néanmoins que des projets de ce type se heurteraient à des obstacles, notamment procéduraux.
Réclamant davantage de concurrence et moins de subventions, l’Union suisse des arts et métiers (Usam) a communiqué tout le mal que ses dirigeants pensent du projet de Simonetta Sommaruga. Pour le président centriste Fabio Regazzi, «le recours à de grandes centrales à gaz est discutable sur le plan climatique et accroît la dépendance vis-à-vis de l’étranger, surtout de la Russie. Toutes ces mesures entraînent un renchérissement marqué de l’électricité, qui sera supporté par la population».
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