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Suisse

Les secrets de la formule magique du Conseil fédéral

Les druides politiques s’évertuent à cacher les 3 secrets de la formule magique


Philippe Castella

Philippe Castella

9 décembre 2019 à 23:05

Analyse » Il paraît qu’elle est magique, la formule qui régit la répartition des sièges au Conseil fédéral. Mais les druides politiques qui en sont les garants ne sont plus d’accord aujourd’hui sur les ingrédients qui la composent. Faut-il ajouter un vert? Et au détriment de qui? D’un des deux bleus (PLR) ou du seul orange (PDC), voire d’un rouge (PS)? Ces druides se chamaillent à coups d’arguties mathématiques pour défendre leur formule de la potion. Mais ce qu’ils se cachent bien de vous dire, c’est que ce n’est ni dans les mathématiques, ni même dans les ingrédients que se cachent les vrais secrets de la formule magique. Ces secrets, il y en a trois et on va vous les livrer ici.

1. La formule est liée à la démocratie directe

Le gouvernement de large coalition qui prévaut en Suisse depuis soixante ans est intimement lié à la démocratie directe. C’est surtout l’introduction du référendum facultatif en 1875 qui a modifié la donne, laissant à l’opposition les moyens de contester devant le peuple toute loi votée par le parlement.

C’est d’ailleurs à la suite d’un échec en votation populaire que les radicaux ouvrent le Conseil fédéral à d’autres partis. En 1891, le refus par le peuple du rachat des grandes lignes de chemin de fer pousse le conseiller fédéral Emil Welti à la démission. Le premier conservateur (aujourd’hui PDC) lui succède, Joseph Zemp. Le premier agrarien (UDC) apparaît en 1929 et le premier socialiste en 1943, avant l’invention de la formule magique en 1959. L’idée était d’intégrer les principales forces au sein du gouvernement pour éviter qu’elles ne fassent un travail de sape à coups de référendums et que le pays ne devienne ingouvernable.

Cette même logique plaide pour l’intégration des Verts au Conseil fédéral, que ce soit dès mercredi ou d’ici quelques années. En 1959, les quatre partis gouvernementaux représentaient 85% des élus au Conseil national. Aujourd’hui, cette proportion est tombée à 68,9%.

Pour la même raison, il est impensable d’imaginer un système d’alternance en Suisse entre majorité et opposition.

2. Le plus important, c’est le rôle de pivot

Le plus important dans la composition du Conseil fédéral, ce n’est pas de savoir quel parti héritera d’un ou deux sièges, mais qui va pouvoir faire pencher la balance à droite ou à gauche, qui va jouer le rôle de pivot dans les décisions.

Et c’est là le véritable coup de génie de l’inventeur de la formule magique, le conservateur Martin Rosenberg. Avec la répartition des sièges qui a prévalu de 1959 à 2003 (1 UDC, 2 PLR, 2 PDC et 2 PS), c’est le PDC qui s’est placé au centre du jeu politique, piquant ce rôle aux radicaux qui le détenaient depuis 1848. D’ailleurs en 1959, les radicaux ont contesté l’élection d’un deuxième socialiste, lui opposant leur candidat, ce qui leur aurait permis de garder la main sur le Conseil fédéral.

En 2003, l’élection d’un deuxième UDC, Christoph Blocher, au détriment du PDC redonne les clés du Conseil fédéral au PLR. Entre 2007 et 2015, la question est plus compliquée, mais c’est le trio formé d’Eveline Widmer-Schlumpf (pbd), Doris Leuthard (pdc) et du PLR modéré Didier Burkhalter (à partir de 2009) qui joue le rôle de pivot. Le départ de la première en 2015 et son remplacement par l’UDC Guy Parmelin marque le retour du PLR dans ce rôle.

C’est aussi tout l’enjeu de l’élection de mercredi et c’est pourquoi les Verts veulent s’attaquer au siège du PLR Ignazio Cassis et non à un siège démocrate-chrétien ou socialiste. L’objectif est de faire basculer la majorité à nouveau en faveur du PDC avec un argument de poids: pourquoi l’UDC et le PLR, qui ont perdu leur majorité au National et ne l’ont pas aux Etats, conserveraient une majorité au Conseil fédéral?

Cela explique aussi pourquoi le PLR tient mordicus à son second siège, quitte, à terme, à sacrifier l’unique siège PDC en faveur des Verts.

3. Les changements ont lieu par la force

Mercredi, il devrait y avoir match entre le libéral-radical Ignazio Cassis et la verte Regula Rytz, même si le Tessinois part grand favori. Il est assuré du soutien de l’UDC et du PLR (103 voix), la Bernoise des Verts et du PS (83 voix). Le PDC (44 voix) et les Vert’libéraux (16 voix) ont encore le pouvoir de faire pencher la balance.

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C’est là aussi une constante. Au-delà de tous les beaux théorèmes chiffrés sur la composition du Conseil fédéral, ce sont toujours les rapports de force qui ont prévalu. En 1959, les radicaux ont été battus. En 2003, Christoph Blocher devance la sortante Ruth Metzler de cinq voix. Il est lui-même battu de dix voix quatre ans plus tard par Eveline Widmer-Schlumpf.

En 2009, le PDC avec Urs Schwaller tente de récupérer son second siège au détriment du PLR, arguant que le groupe PDC compte plus d’élus entre les deux Chambres que le PLR. En vain. Il en va de même pour l’UDC en 2011, avec Jean-François Rime (FR) et Hansjörg Walter (TG). Enfin, en 2015, si l’élection d’un UDC, Guy Parmelin, n’a pas été contestée, c’est parce qu’Eveline Widmer-Schlumpf a capitulé après les élections fédérales, estimant ses chances de réélection trop incertaines.

Mercredi ou à la prochaine vacance au Conseil fédéral, ce sera toujours un rapport de force qui parlera en faveur ou contre l’élection d’un vert. Malgré les espoirs du président du PDC Gerhard Pfister, il n’y a guère de chances que tous les grands partis se mettent d’accord un jour sur une recomposition du Conseil fédéral. Mais l’essence même de la politique n’est-elle pas de trouver des majorités pour défendre au mieux ses idées?

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