Les dangers pas ignorés
Antiépileptique pris pendant la grossesse: Swissmedic et le fabricant se justifient, les critiques augmentent
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ariane Gigon, Zurich
9 janvier 2020 à 02:01
Sécurité des médicaments » Autisme, retards de langage et de développement physique, voire malformations: ce sont quelques-uns des tragiques effets, chez les bébés, du valproate, un antiépileptique prescrit à leur mère, apparu sur le marché suisse en 1972. Il a fallu des décennies pour que les dangers soient reconnus et publiés. Un rapport du Conseil fédéral faisant état de 39 cas en Suisse vient de relancer la discussion. Les familles concernées et des professionnels de la pharmacologie doutent des résultats.
En France, patrie de Sanofi, le fabricant du médicament Dépakine contenant le valproate, au moins 6500 cas de bébés nés avec des malformations ou des déficits cognitifs ont été recensés. Des procédures en justice sont en cours, un fonds d’indemnisation a été créé.
Fonds pour les victimes
C’est aussi ce que demandent des politiciens en Suisse, suite à la publication du rapport «Scandale de la Dépakine. Analyse de la situation en Suisse» publié en décembre dernier. Il est la réponse à un postulat de l’ancienne conseillère aux Etats Liliane Maury Pasquier (ps, GE), qui soutient aussi l’idée d’un fonds: «Outre toutes les souffrances subies, ces familles ont perdu des revenus et elles ont vu leur existence chamboulée. Peu d’entre elles ont du reste encore le courage, l’énergie et les moyens de faire connaître leur cas.»
Liliane Maury Pasquier doute des conclusions du rapport. Selon celles-ci, 39 enfants seraient nés avec un handicap mental ou physique en Suisse, car les médecins helvétiques ont fait preuve de davantage de retenue dans l’administration du valproate que leurs collègues français, sans compter qu’il n’y aurait pas eu de cas récent. Pourtant, des cas ont été enregistrés en 2017, indique-t-elle. «Ce rapport minimise les choses. Je m’étonne qu’il ait été confié à Swissmedic. Je m’attendais à des avis médicaux plus indépendants.»
Selon l’ex-présidente de la Fédération suisse des sages-femmes, les autorités de surveillance ont failli à leur devoir d’information: «On sait depuis longtemps que le risque d’atteinte au développement neurologique est de 30 à 40%! Manifestement, beaucoup de médecins l’ignoraient. Les notices des médicaments ont été adaptées très tard.»
Sanofi écrit aux médecins
Le fabricant a écrit aux spécialistes suisses en décembre, ainsi qu’aux sages-femmes et aux centres de planning familial, pour rappeler les mises en garde contre la Dépakine.
Une réaction au rapport du Conseil fédéral? «Non, répond le porte-parole de Sanofi Jacques-Henri Weidmann. Ce matériel d’information, également disponible sur le site de Swissmedic, date de 2018. Nous renvoyons les courriers informatifs et répétons que les patientes doivent donner leur consentement éclairé et écrit pour nous assurer que les informations ont été reçues.»
Mais selon les associations de familles ayant eu des enfants handicapés, Sanofi et Swissmedic ont traîné les pieds pendant des années. Ainsi, la mise en garde sur l’emballage lui-même, indiquant que «Dépakine + grossesse = danger» n’a été inscrite qu’en 2017. «Et si nous n’avions pas fait pression, cela ne serait pas arrivé», s’insurge Natascha Allenbach, de l’Association suisse du syndrome de l’anticonvulsivant (ASSAC), qui, avec l’association Enfants Dépakine-Suisse, représente et défend des victimes.
«Un mensonge»
«Des rapports français ont établi en 1982 et 1984 qu’il y avait un danger pour le développement neurologique des fœtus, ajoute-t-elle. Dire que l’on est au courant seulement depuis les années 2000 est un mensonge et un scandale.» Les deux associations estiment que le nombre de cas non annoncés est «certainement bien plus élevé» que les 39 indiqués dans le rapport.
C’est aussi l’avis de Stephan Rüegg, épileptologue à Bâle et président de la Ligue suisse contre l’épilepsie: «Le nombre de cas détectés en Suisse augmentera probablement, mais pas au point d’atteindre, proportionnellement, le chiffre français.» Le médecin rappelle que «le valproate est le seul antiépileptique à agir contre une forme sévère de la maladie, touchant environ 10 à 15% des personnes atteintes.» Il admet que les révélations sont «une leçon pour nous. Nous aurions peut-être dû exiger que Swissmedic contrôle davantage».
Ursula Winterfeld, pharmacienne et responsable du Service d’information tératogène – suisse (STIS) au CHUV, qui conseille sur les prises médicamenteuses pendant la grossesse et l’allaitement, est également déçue par le rapport du Conseil fédéral. «Il ne m’a pas donné l’impression que tout avait été fait pour retrouver des cas. On le referme en se disant qu’il n’y a pas de problème en Suisse. Ce qui est faux pour le valproate.»
Selon elle, les notices d’information des médicaments ne sont pas mises à jour, ou très lentement. Cela prend parfois des années et les textes sont souvent incompréhensibles. Les fabricants sont responsables de ce qui est indiqué dans la notice. Dans le cas du valproate, ils auraient pu écrire plus rapidement que le problème était plus important que prévu. Un manque d’information qui risque bien d’être tranché par les tribunaux.
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