Des engrais toxiques
Deux ONG suisses, Swissaid et Pain pour le prochain, dénoncent la pollution au Maroc des usines de l’Office chérifien des phosphates (OCP), numéro un mondial de l’extraction de cette matière première
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Yves Genier
5 juin 2019 à 00:13
Matières premières » A Safi, ville de 308’000 habitants de la côte marocaine, «un nombre élevé d’agents de l’Office chérifien des phosphates (OCP) et des retraités sont atteints de maladies principalement respiratoires, mais aussi de cancers. De nombreux employés et retraités se meurent». La cause de ce désastre est la pollution engendrée par l’usine locale du numéro un mondial de l’extraction de cette matière première destinée aux engrais utilisés dans l’agriculture et les jardins.
C’est ce qu’affirment Swissaid et Pain pour le prochain, deux ONG suisses, dans un rapport de 32 pages publié ce mercredi et intitulé Engrais dangereux: négociants suisses et violations de droits humains au Maroc. Ce document reproche à la société marocaine, détenue à 95% par l’Etat (et donc très proche de la famille royale) et à 5% par une banque locale, de ne pas accomplir ses devoirs en matière de préservation de la santé de ses employés et du voisinage de ses implantations industrielles. «La production d’engrais phosphatés au Maroc viole le droit à la santé des travailleurs et des riverains, et a un impact négatif sur l’environnement», accuse le document.
Entre 6 et 16 fois les prescriptions de l’OMS
Ses quatre mines de phosphate (Khouribga, Benguérir et Youssoufia dans le centre du pays, et Boukraa au Sahara occidental) et ses deux usines de traitement (à Jorf Lasfar et Safi, sur la côte atlantique) dégagent, précise le rapport, entre 6 et 16 fois plus de particules fines que recommandent les prescriptions de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elles émettent aussi plusieurs gaz toxiques, comme le dioxyde et le trioxyde de soufre, des vapeurs de sulfure d’hydrogène ainsi que des vapeurs de fluorure d’hydrogène. Ces émanations provoquent notamment des maladies respiratoires, voire des maladies cardiovasculaires et des cancers. Les employés et les personnes vivant dans le voisinage y sont particulièrement exposés, conclut le document.
Le groupe OCP se défend
Confronté par notre journal aux accusations des deux ONG, l’Office chérifien des phosphates dément tout dépassement de normes sanitaires, qu’il affirme respecter scrupuleusement. «Le groupe OCP tient à faire savoir qu’il atteste de la conformité environnementale et sanitaire de ses activités aux normes internationales, certifications d’organismes internationaux indépendants à l’appui», affirme Saïd Khalil, porte-parole au siège à Casablanca.
Ainsi, les mesures de qualité de l’air effectuées par le cabinet Numtech l’hiver dernier à Safi et dans les environs «démontrent que les valeurs des particules fines sont une dizaine de fois en dessous de la valeur avancée par l’ONG». Et de dénoncer «une mise en cause fallacieuse et caricaturale fondée sur un amalgame de conjectures, de simulacre de méthodes et de motivations politiques».
Au-delà de la dénonciation de cette situation au Maroc, les deux ONG suisses spécialisées dans la coopération au développement veulent mettre en lumière le rôle de leurs partenaires en affaires en Suisse. Ces derniers sont les vingt sociétés de négoce de matières premières basées généralement sur l’Arc lémanique, à Zoug et au Tessin, qui achètent la production de l’OCP pour la revendre à des tiers. Or, ces entreprises, de toutes tailles et de diverses nationalités, ne semblent pas se soucier des conditions de travail des employés de l’OCP au moment de faire leurs affaires avec elle, soupçonnent les deux ONG.
Pourtant, poursuivent-elles, ces sociétés de négoce sont encouragées à le faire en vertu du Guide de bonnes pratiques pour l’application des principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, publié à la fin novembre 2018 par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) et par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) avec le concours du canton de Genève, de l’industrie, de plusieurs ONG et de l’Institute for Human Rights and Business.
Ce document, un pavé d’une soixantaine de pages dont l’élaboration a pris quatre ans, prescrit aux professionnels du négoce de matières premières de s’assurer notamment que leurs partenaires respectent les droits humains, dont la préservation de la santé.
«Trop tôt»
Cette interprétation est nuancée par la Swiss Trading & Shipping Association (STSA), qui regroupe la majorité des sociétés de négoce. «Le processus est progressif et il est encore trop tôt pour juger les résultats de ce travail d’information et de promotion», explique ainsi son secrétaire général, Stéphane Graber, qui s’exprime en termes généraux faute d’avoir pu prendre connaissance du rapport des organisations non gouvernementales.
Autrement dit: il est encore trop tôt, selon lui, pour appliquer à la lettre le document publié par le SECO et le DFAE. Et de préciser que peu d’entreprises sont véritablement informées de son contenu.
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