Bilan » En poste depuis deux ans, le chef du Département des affaires étrangères (DFAE) Ignazio Cassis a eu le temps de se faire des ennemis. Déçue par le virage à droite opéré par le libéral-radical tessinois après l’ère du centriste Didier Burkhalter, la gauche ne manque pas de l’étriller chaque fois qu’il semble donner des gages à la droite et aux milieux économiques. C’est le jeu de la politique, mais le Tessinois prête le flanc à la critique en adoptant des positions polémiques qui le contraignent régulièrement à de pénibles reculades.
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1. Europe: l’impasse sur l’accord-cadre
Discours percutant, mise en scène accrocheuse: Ignazio Cassis a repris le tentaculaire dossier européen avec un certain à-propos. D’abord en déclarant vouloir faire «reset» avec l’Union européenne sur l’accord-cadre institutionnel, soit remettre les compteurs à zéro. Puis en joignant le geste à la parole, comme lors d’une présentation où il jette au sol des cubes de couleur. Il tranche avec son prédécesseur Didier Burkhalter, recroquevillé et résigné. «Il a insufflé un nouvel élan aux négociations», lui accorde un adversaire politique proche du Conseil fédéral.
L’UDC fait la moue. Elle espérait autre chose de ce «reset», mais, comme le dit le Valaisan Jean-Luc Addor, «il était illusoire de croire que le Tessinois se transformerait en petit soldat de l’UDC».
Le soufflé retombe vite. Peu de temps après, Ignazio Cassis met les pieds dans le plat en relativisant le caractère intouchable de la protection des salaires alors que le maintien des mesures d’accompagnement constituait la ligne rouge définie par son prédécesseur. C’est un tournant. Les syndicats et le PS montent au front. Le ministre perd la majorité au parlement pour l’accord-cadre, puisque l’UDC maintient son opposition fondamentale. Le fossé reste béant, aggravé par l’attitude peu conciliante de l’Union européenne.
Le conseiller fédéral tente de gagner du temps en demandant des clarifications sur la protection des salaires, les aides d’Etat et la directive européenne sur la citoyenneté. «On ne peut pas lui reprocher de ne pas tout faire pour défendre les intérêts de la Suisse, souligne l’un de ses proches. Il essaie de trouver des solutions raisonnables.»
2. Une approche économique
«La politique extérieure est de la politique intérieure.» Ignazio Cassis a annoncé rapidement la couleur. Les actions sur la scène internationale doivent rapporter des fruits tangibles à la Suisse et à son économie. Quitte à adopter des positions pour le moins polémiques: à l’été 2018, le Tessinois apporte la 4e voix décisive au Conseil fédéral pour libéraliser les exportations d’armes dans les pays en guerre civile. Tollé à gauche et au centre. La fronde gagne le centre-droit, puisque des élus PLR (surtout romands) votent une motion qui amène le gouvernement à revenir sur ses pas.
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L’été dernier, le DFAE refait les gros titres. Le géant du tabac Philip Morris est annoncé comme sponsor du Pavillon suisse à l’Exposition universelle de Dubai en 2020. A nouveau, hauts cris. Médecin spécialisé dans la prévention (!), Ignazio Cassis recule. Son département assure que le contrat n’était pas encore définitif.
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Tollé encore après la visite d’une mine de cuivre de l’entreprise zougoise Glencore en Zambie. Le Tessinois avait loué les efforts de modernisation du géant minier, très critiqué par les défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement qui défendent une initiative pour des multinationales responsables. «C’est une affaire montée en épingle qui ne doit pas faire perdre la vision d’ensemble, estime le vice-président du PLR Christian Lüscher. N’oublions pas que l’économie est le moteur de notre prospérité.»
3. Communication: le politicien cafouilleur
L’épisode est emblématique: en 2017, juste avant son élection au Conseil fédéral, Ignazio Cassis adhère à l’association des tireurs Pro Tell, donnant un gage de plus à la droite conservatrice. Lorsque le Tages-Anzeiger et Zentralschweiz am Sonntag le révèlent, il se dépêche de quitter le lobby. Pour ses critiques, ce cafouillis illustre à quel point le ministre PLR est influençable et sensible autant à la pression qu’au sens du vent.
« Il n’a pas quitté le costume de lobbyiste qu’il portait comme parlementaire »