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Tennis

Daria Kasatkina, c’est un peu tout ça

Qualifiée pour les demi-finales, la Russe cristallise les problématiques d’un tennis féminin qui se cherche


 Pierre Salinas

Pierre Salinas

2 juin 2022 à 04:01

Roland-Garros » Elle gagnerait à être connue, ne serait-ce que pour cette moue qu’elle affiche quand un je-ne-sais-quoi, un grain de sable, le taux de pollen ou le ronron de la clim lui pique le nez, qu’elle a fin par ailleurs. Matricule 20 au dernier classement WTA, Daria Kasatkina s’est qualifiée hier aux dépens de sa compatriote Veronika Kudermetova pour les demi-finales de Roland-Garros, où elle affrontera aujourd’hui la Polonaise et N°1 mondial Iga Swiatek. Jamais la Russe de 25 ans n’avait été à pareille fête en grand chelem même si, en 2018, elle avait compté parmi les membres éminents du top 10. Avant de se claquemurer dans sa chambre d’hôtel de longs mois durant, les résultats et la motivation en berne.

Joueuse libérée dont la personnalité tantôt joviale, rebelle, triste ou fantasque rappelle celle de l’ancien tsar Marat Safin, Daria Kasatkina est d’autant plus attachante qu’elle cristallise plus qu’elle n’incarne les problématiques, les polémiques aussi, liées au tennis et au tennis féminin en particulier.

Stéréotypes actuels

La guerre d’abord, et ce conflit en Ukraine qui s’enlise mais que les compatriotes de Vladimir Poutine se gardent bien de condamner, de peur de représailles sans doute. Pas plus que Daniil Medvedev ou Andrei Rublev, lequel s’est contenté d’un «stop war (arrêtez la guerre)» écrit au feutre sur une caméra, Daria Kasatkina n’a émis de véritable avis sur le sujet. Elle n’a pas non plus critiqué la décision de Wimbledon d’interdire aux ressortissants russes et bélarusses de fouler ses pelouses.

Soit. La native de Togliatti se démarque des autres filles de l’Est par son jeu, qui défie les stéréotypes actuels. De sa raquette ne sortent pas que des trajectoires tendues – boum, boum et reboum – mais un éventail de coups grattés de haut en bas ou de bas en haut d’une variété telle que certains voyaient en elle une filiation avec Ashleigh Barty, peut-être la joueuse la plus inspirée de ces cinq dernières années. Raté.

Aussi précoce et talentueuse soit-elle, Daria Kasatkina n’a pas eu la même carrière que la jeune retraitée australienne, elle n’a pas trôné ni ne trônera jamais à la première place non plus. Mais l’artiste a eu l’immense mérite de se remobiliser après qu’elle se fut perdue dans les couloirs de tous les Hilton de la terre, comme autant de résidences secondaires.

Ami ou ennemi

«Un jour tu gagnes, le lendemain tu perds. Tu ne sais jamais qui est ton ami ou ton ennemi. Je ne l’ai pas dit à voix haute, mais j’ai sérieusement songé à arrêter le tennis», dit celle qui a «broyé du noir» sans cesser de voyager pour autant. Mais pour l’argent seulement. Et d’ajouter dans le même reportage diffusé sur le site internet Sports.ru: «Je restais une ou deux heures assise sous la douche. Je ne voulais parler à personne. Je voulais me faire du mal, peut-être parce que je me trouvais faible et que je ne parvenais pas à surmonter cette situation.»

Le mot fait peur mais n’a jamais aussi souvent accompagné les as de la raquette: comme Naomi Osaka, Dominic Thiem ou encore Stéfanos Tsitsipas, Daria Kasatkina a souffert d’une dépression qui a duré l’entier de la saison 2019 et qui a coûté sa collaboration avec son entraîneur d’alors, le Belge Philippe Dehaes. Une star pourtant, mais une star de Youtube, où une vidéo dans laquelle il tient le rôle principal a suscité suffisamment de «clics» pour devenir virale.

Que du blablabla

Octobre 2018, Coupe du Kremlin à Moscou. La protégée de Philippe Dehaes est menée 6-2 4-1 en finale quand, au bord des larmes, elle demande l’intervention de son coach, comme elle en a le droit sur certains tournois. La suite appartient sinon aux livres d’histoire, aux manuels de renforcement personnel pour le moins. Morceaux choisis.

«Dasha (son p’tit nom, ndlr), ce match n’est pas encore fini. Si tu penses que c’est fini, on change de boulot toi et moi (…) Je ne veux pas changer de boulot. Je veux rester ici, je veux gagner ce titre avec toi. Et tu vas le faire, O.K.?» Puis, après quelques rappels tactiques de base: «Arrête de penser que tu peux perdre, blablabla. Ce n’est que du blablabla. (…) C’est le challenge de ta jeune carrière. Regarde le score, regarde la situation, fais-le!» Rassérénée, Daria Kasatkina le fera. Et si on levait entièrement l’interdiction du coaching en plein cœur de la bataille? Une âme slave, simple et tourmentée, piquante mais effacée, y serait assurément favorable.

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