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Sports de combat

Hosokawa, la voix de la souplesse

En visite à Fribourg, le champion olympique évoque les Jeux à venir et l’évolution de son sport au Japon


 Pierre Schouwey

Pierre Schouwey

17 février 2020 à 02:01

Judo » Marly revendique fièrement son champion olympique en la personne de Slava Bykov. Samedi, la ville fribourgeoise en a accueilli un second: Shinji Hosokawa. Illustre inconnu pour le commun des mortels, le Japonais est un monstre sacré dans son pays qu’il a quitté une dizaine de jours afin de rallier la Suisse. «J’y viens une fois par année», explique-t-il dans un français plus qu’honorable, qui surprend son interlocuteur. «Je l’ai appris grâce à David», précise le sexagénaire en lançant un sourire à son voisin.

Cet homme n’est autre que David Papaux, à la base de la visite de courtoisie du champion du monde de 1985, venu distiller son savoir en compagnie de quatre de ses élèves de l’Université de Tenri. Une école à la dure dans laquelle le multiple champion de Suisse a enchaîné les stages. «En mettant tous les voyages bout à bout, j’ai dû passer trois ans et demi de ma vie là-bas», calcule David Papaux, qui s’est lié d’amitié avec Shinji Hosokawa. Au point de signer une entente, voici sept ans, qui encourage les échanges entre les deux pays (lire ci-après).

Une université en or

Dernier épisode en date de cette collaboration: samedi à Marly. Smartphone en main, le vénérable professeur annonce le début et la fin du randori (combats libres). Sur le tatami, une vingtaine de combattants s’époumonent. Ils tombent. Se relèvent sous le regard bienveillant du grand maître (pas par la taille). Les participants à cette journée d’entraînements n’ont rien à gagner, si ce n’est de l’expérience, mais tous désirent prouver quelque chose. «A chaque fois que je vois qu’il me regarde, j’ai envie de bien faire. Il s’agit quand même d’un champion olympique», souffle Audrey Gaillard.

Des jeunes de l’âge de la prometteuse Villaroise (18 ans), Shinji Hosokawa en a vu défiler des milliers à Tenri, ville située à 50 km d’Osaka. Une fois son kimono de compétition rangé, le –60 kg est retourné ingurgiter la même routine qui l’avait nourri lors de son passage universitaire. Depuis 30 ans, le poids super-léger revit la même journée, encore et encore: footing à 6 h 30, entraînements puis couvre-feu dans le foyer où cohabitent les quelque 130 élèves. «Bien sûr que des fois, on en a marre, sourit-il, mais en tant que professeur, on se doit de garder le rythme et montrer l’exemple.»

Il l’avoue: sa motivation baisse à mesure que la retraite approche. Mais pas question de laisser transparaître l’usure du temps. Car Tenri, réputé pour la pureté de son judo, est une fabrique à champions qui ne tolère pas la médiocrité. A chaque olympiade, ou presque, l’université a placé un de ses représentants sur la plus haute marche du podium. Dans cinq mois à Tokyo, elle peut prétendre à deux médailles d’or grâce à sa superstar Shohei Ono et à Joshiro Maruyama, deux champions du monde en titre dans leur catégorie respective.

Une énorme pression

La pression sur les judokas nippons promet d’être gigantesque à l’occasion de ces joutes à domicile. Les premières depuis 56 ans. Ce poids qui pèse sur les épaules de n’importe quel combattant japonais, Shinji Hosokawa l’a vu s’envoler à Los Angeles en 1984. «J’étais vraiment soulagé. Comme le judo est né au Japon, seule la victoire compte», lâche celui qui œuvre dans l’organisation de l’événement prévu au Nippon Budokan. Comme en 1964.

Cette soif de victoires sur fond de valeurs et de respect propres au judo – qui signifie littéralement voie de la souplesse –, David Papaux y a été confronté: «La première fois que j’ai rencontré Shinji, je lui ai demandé s’il avait participé à plusieurs mondiaux et Jeux olympiques à part les deux qu’il avait remportés. Il m’a répondu: «Oui, mais j’ai perdu.» J’ai appris plus tard que perdre pour lui, c’était finir deuxième (aux mondiaux en 1987, ndlr) et troisième (aux JO de Séoul l’année suivante). C’est leur mentalité. Chez nous, on aura tendance à fanfaronner pour une cinquième place.»

Fort de cet exemple, on saisit mieux l’ampleur du séisme national qui avait suivi les Jeux de Londres, que la délégation masculine avait bouclés sans la moindre breloque dorée. Un affront lavé à Rio quatre ans plus tard mais qui démontre que l’Empire du Soleil levant a cédé une partie de sa supériorité à d’autres nations. «A Londres, l’entraîneur national de l’époque, Shinichi Shinohara, avait voulu reproduire le schéma qu’il avait connu comme étudiant à Tenri. Sauf qu’il s’était montré trop dur. Les jeunes ont changé, il faut savoir s’adapter.» Parole d’Hosokawa, la voix de la souplesse physique, mais aussi mentale.

Moins de licenciés

L’université de la région du Kansai, école traditionaliste s’il en est, et son professeur se sont résolus à mettre un peu d’eau dans leur vin. Aux oubliettes, les séances sans chauffage à 5 h du matin au mois de janvier. Au galetas, les tatamis en paille qui vous brûlent le dessous des pieds à chaque balayage. Les transformations sociétales se sont invitées jusque sur le parvis des dojos, bouleversant du même coup le principe ancestral du sempai-kohai.

Emprunté à la culture japonaise, celui-ci oblige un jeune élève à témoigner d’un respect absolu à un élève plus âgé. Une hiérarchie moins prononcée depuis que des abus ont été constatés. Et que les mœurs ont changé.

Son nombre de licenciés tombé à 200 000 après avoir été dix fois supérieur selon Hosokawa, le judo japonais souffre, comme partout, d’une offre sportive toujours plus diversifiée. «Avant, il fallait pratiquer un art martial. Désormais, il y a le football, le rugby et d’autres disciplines. C’est comme ça», constate le champion olympique, sans pour autant s’en émouvoir. Aussi bourré de valeurs soit-il, le judo japonais doit s’adapter. Pour cela, il peut compter sur son inusable porte-parole.

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