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Cyclisme

Le dernier voyage de Frank Lenz

En 1892, un jeune prodige tente de battre la distance du premier tour du monde à vélo en solitaire: il disparaît

Frank Lenz "Off again" in China Source: Boston Public Library Format: Grayscale tiff

 Claude Marthaler

Claude Marthaler

8 juin 2020 à 19:48

Cyclisme » Thomas Allen et William Sachtleben, deux étudiants américains de 26 ans, partent en 1890 pour un tour du monde à vélo de deux ans. Au Japon, ils manquent de peu le jeune cycliste prodige Frank Lenz. Photographe amateur et comptable de métier, ce dernier est en train de battre la distance du premier tour du monde à vélo en solitaire de Thomas Stevens (lire ci-dessous). Un périple dont il ne revint jamais. L’histoire ne s’arrête pas là: le magazine d’aventure américain Outing lancera le vaillant Sachtleben à la recherche de Lenz pour enquêter sur sa disparition à l’est de la Turquie. L’aventure captiva en son temps le public américain, son enjeu résonna jusqu’au Congrès et à la Maison-Blanche.

7383

kilomètres parcourus par Frank Lenz en 107 jours

Le 15 mai 1892, Frank Lenz (25 ans) quitte Pittsburgh, sa ville natale. Durant trois mois, il traverse le continent nord-américain, avec une incursion aux chutes du Niagara au Canada. Son passage est annoncé par télégraphe, si bien que les clubs de cyclistes l’escortent, l’hébergent et organisent des buffets en son honneur. Un jour, Lenz emprunte un pont de chemin de fer. Lorsqu’un train débouche dans un virage, le valeureux échappe de peu à la mort. Il a juste le temps de balancer ses jambes et de retenir sa bicyclette par-dessus la balustrade du pont! Son vélo chargé de bagages, de victuailles, d’un revolver, d’un arc indien et de flèches ainsi que d’une vieille corne de buffle attire les regards des hommes d’affaires, des employés et des ouvriers. D’après ses calculs, il aurait couvert 7383 km en 107 jours, soit une moyenne quotidienne de 72 km, une distance honorable considérant qu’il pédalait sur un monovitesse de 50 kilos.

A la mi-novembre, après une brève escale à Hawaï, son bateau à vapeur accoste au Japon, un pays où le vélo était déjà connu. Frank Lenz rencontre ses premiers véritables obstacles en Chine. Les routes impraticables le contraignent à marcher pendant des semaines, alors que des hommes drogués à l’opium transportent son vélo par-delà les montagnes. L’hiver le ralentit.

Face à l’hostilité

L’arrivée de Frank Lenz crée des attroupements spontanés, souvent hostiles, fruits des superstitions de la population. Des paysans fuient à l’approche de l’Américain; d’autres lui jettent des pierres. Lenz devient irascible. Plus d’une fois, il doit tirer en l’air pour disperser la foule menaçante. Il se met à rouler de nuit, trouve refuge chez les missionnaires catholiques. Les employés du télégraphe lui indiquent la route à suivre. Malgré ces épreuves, le cycliste demeure optimiste: «Mon voyage tend à promouvoir une meilleure appréciation des étrangers parmi les nations.»

Après deux ans de route, le mal du pays le ronge de plus en plus.

Parvenu en Birmanie, crasseux, épuisé, et en retard sur son plan, Franz Lenz pense que le plus dur est derrière lui. Il attrape la malaria. En raison des pluies diluviennes, il renonce à pédaler et atteint l’Inde par bateau. De Calcutta, il emprunte la Grand Trunk Road pour traverser le sous-continent indien. A Lahore, le voilà face à un dilemme: passer par l’Afghanistan en affrontant ses fiers habitants et son hiver rigoureux ou traverser 1287 km de désert jusqu’à Karachi, avant d’embarquer sur un bateau à vapeur pour la Perse. Il choisit la seconde option. De Karachi, son bateau accoste à Bouchehr, en Iran, d’où il se remet en selle vers Téhéran. Bien qu’il apprécie le paysage et les nombreuses ruines, il est consterné par le sable profond et les nuées d’insectes. Et déjà anxieux de devoir traverser la Turquie durant la chaleur estivale.

Le mal du pays le ronge

Après deux ans de route, le mal du pays le ronge de plus en plus. A Tabriz, il pense bientôt atteindre Erzurum, situé en Turquie à quelque 489 km à l’ouest. C’est la dernière fois qu’on entend parler de lui.

» «The Lost Cyclist», par David V. Herliy, en 2010 aux éditions Houghton Mifflin Harcourt. Le cycliste perdu, le tour du monde d’un aventurier et sa mystérieuse disparition, en 2011 aux éditions JCLattès pour la traduction française.

» «Across Asia on a Bicycle, The Journey of Two American Students from Constantinople to Peking», par Thomas Gaskell Allen, Jr et William Lewis Sachtleben. Première édition en 1895 par T. Fisher Unwin, Paternoster Square à Londres. Nombreuses rééditions en anglais.

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