«Les Népalais enfin dans la lumière»
Le K2 (8611 m) a été gravi pour la première fois en hiver. Le commentaire de Pierre Morand
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Jean Ammann
28 janvier 2021 à 02:01
Alpinisme » Le 6 juillet 1985, Pierre Morand, dans la force de ses 27 ans, dans la témérité de sa jeunesse, était au sommet du K2 (8611 m), son troisième 8000, après le Broad Peak et le Gasherbrum I. Il commente la première ascension hivernale du K2, réussie le 16 janvier grâce aux efforts conjoints de deux expéditions népalaises.
Le K2 était le dernier 8000 qui n’avait pas été gravi en hiver. Que vous inspire cette réussite d’une expédition népalaise?
Pierre Morand: D’abord, je suis très content que cette première ait été réussie par une équipe d’alpinistes népalais. Malgré tout ce que les Népalais ont fait dans l’alpinisme himalayen, ils n’avaient jamais marqué l’histoire, si l’on excepte Tensing à l’Everest, en 1953. Je suis heureux que les alpinistes népalais soient enfin dans la lumière. Par contre, je suis moins enthousiaste sur la méthode qui a été employée au K2: oxygène, expédition lourde… C’est quand même dommage. C’est d’autant plus dommage que ces gars-là ont un tel niveau en haute altitude qu’ils avaient les moyens de réussir le K2 sans tout cet «arsenal». Je suis sûr qu’il était possible pour les meilleurs grimpeurs népalais de grimper le K2 en technique alpine et sans oxygène. Je sais aussi que les Népalais n’ont pas la même approche de l’alpinisme que les Européens: pour eux, partir sans oxygène sur les plus hauts 8000, c’est ajouter trop de risque. Mais je suis sûr que le chapitre hivernal du K2 ne s’est pas refermé: il y a des gars qui vont tenter l’ascension en hiver, sans oxygène et en style alpin.
Il semble que sur les dix Népalais qui sont arrivés au sommet du K2, deux n’avaient pas d’oxygène…
C’est juste: Nirmal Purja, en tout cas, est allé au sommet sans oxygène. C’est un exploit d’avoir atteint le K2 en hiver et sans oxygène, c’est un exploit sportif, mais l’engagement n’est pas le même quand il y a autour de toi une demi-douzaine de grimpeurs qui sont sous oxygène et qui peuvent te venir en aide en cas d’urgence. Comme je l’ai dit: ils en ont les capacités… Cela dit, sur les 8000, il n’y a pas beaucoup d’ascensions hivernales qui ont été réussies en technique alpine, à part le Dhaulagiri.
Justement, parlons-en! Au début du mois de décembre 1985, vous êtes avec Erhard Loretan, Jean Troillet et Pierre-Alain Steiner au Dhaulagiri (8167 m), pour la première ascension hivernale de la face est…
Oui, et j’ai vu ce qu’était l’Himalaya en hiver… J’ai fait deux ou trois tentatives jusqu’à 6500 m et j’ai décidé de renoncer. Il fait un froid terrible. Je pense qu’au Dhaulagiri, on a rencontré des températures de – 40/–50 °C, sans la moindre possibilité de se réchauffer durant la journée. Au K2, cet hiver, ils parlent de températures de – 60 °C. Pour ma part, c’est en hiver, au Dhaulagiri, que j’ai senti que nous frôlions la limite: on grimpait sans corde dans une face monstrueuse, on plantait les piolets dans de la mousse gelée, je n’avais peut-être pas besoin de tout ça pour exister… Et d’ailleurs, Pierre-Alain Steiner, qui était un fort grimpeur, mourra dix mois plus tard au Cho Oyu avec Erhard…
Avec Nirmal Purja, qui était au sommet du K2, qui a enchaîné les quatorze 8000 en six mois et six jours (!), le Népal tient la nouvelle vedette de l’himalayisme…
Il réussit des chronos de dingue sur les 8000, c’est vrai, mais je ne sais pas si l’on peut parler de la «vedette de l’himalayisme»: je ne suis pas sûr que l’enchaînement des 8000, avec oxygène et le soutien de toute une expédition, intéresse encore les meilleurs grimpeurs. Les plus doués se lancent dans des ascensions très difficiles sur des sommets moins hauts, moins courus que les 8000, comme les Français au Nuptse. En décembre 2017, ces trois grimpeurs (Frédéric Degoulet, Benjamin Guigonnet, Hélias Millerioux, ndlr) ont ouvert en style alpin une nouvelle voie sur la face sud du Nuptse (7742 m). Ou bien ce qu’a réussi le Bernois Silvan Schüpbach dans la face ouest du Tengi Ragi Tau (6820 m) en 2019… A mon avis, l’avenir de l’himalayisme est là, sur les sommets de 6000 et de 7000 m.
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