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Religions

«Nous ne voulons plus rentrer en Syrie»

Liban • Menacés de mort ou tués s’ils refusent de se convertir à l’islam, les chrétiens de Syrie veulent rejoindre l’Europe. Réfugiés à Zahlé, ils survivent péniblement. Les Eglises les encouragent à rester au Moyen-Orient.

Mgr Issam Darwish salue de jeunes réfugiés syriens accueillis à l’école Sainte-Rita, à Zahlé. La grande majorité des enfants réfugiés au Liban ne fréquentent cependant pas l’école. C’est une véritable «bombe à retardement».

Jacques Berset, Zahlé

Jacques Berset, Zahlé

4 décembre 2015 à 12:28

«Nous ne voulons plus rentrer en Syrie... Nous sommes persécutés parce que nous sommes chrétiens. Nous avons tout perdu. Nous voulons partir pour l’Europe, où nous serons respectés.» Grimpant par les rues étroites et pentues de Zahlé, nous visitons des familles chrétiennes dispersées dans des logements de fortune de cette ville chrétienne de la plaine de la Bekaa adossée aux contreforts du mont Liban.

Ayant écarté la lessive suspendue à une corde devant l’entrée et enlevé nos chaussures, nous pénétrons dans une petite pièce, avec des matelas disposés sur les côtés, à même le sol, des habits suspendus à un clou... avec pour seul luxe une toute petite télévision. Depuis 2012, trois familles syriennes, soit une dizaine de personnes, vivent dans cet espace insalubre de 25 m2. Les hommes ne veulent pas se laisser prendre en photo et donner leur nom, par peur de représailles: venant de Rablé, près de Homs, les deux pères de famille, deux frères, racontent leur enlèvement par les djihadistes du Front al-Nosra, affiliés à al-Qaïda.

«Ils m’ont battu et torturé, brûlé avec des cigarettes pour que je me convertisse à l’islam, me traitant de kâfir (mécréant)», témoigne l’un d’eux, traumatisé à l’idée que ces djihadistes puissent le retrouver. Il n’a été libéré qu’après avoir payé une rançon de 20 000 dollars.

«Croix dans la bouche»

«Avant, nous avions chacun une grande maison. Pour acheter notre libération, nous avons dû tout vendre... tout abandonner», témoigne l’un des adultes, qui était agriculteur. Les djihadistes ont massacré des familles entières: «Al-Nosra a attaqué les villages chrétiens, tuant seulement les gens qui étaient dans l’armée et les chrétiens; une femme a été égorgée et on lui a mis une croix dans la bouche...»

L’une des filles a été tellement choquée par les atrocités dont elle a été le témoin qu’elle est tombée malade. «Sans l’aide de l’archevêché, je ne sais pas ce que nous serions devenus.» Grâce notamment au soutien financier de l’œuvre d’entraide catholique Aide à l’Eglise en Détresse (AED), Mgr Jean Issam Darwish, archevêque grec-catholique melkite de Zahlé et de la Bekaa, vient en aide à 3000 chrétiens syriens qui ont trouvé refuge dans cette ville chrétienne libanaise de 60 000 habitants. Contrairement aux réfugiés musulmans, ils ne vivent pas sous tente, ayant trouvé, souvent à prix d’or, à se loger au milieu de la population, dans des appartements exigus, des garages ou autres abris de fortune.

Les réfugiés musulmans, eux, vivent aux abords de l’agglomération, sous des tentes de plastique. Pour chaque abri, ils paient 70 dollars de location par mois au propriétaire du champ qu’ils occupent. Ils se préparent à affronter un nouvel hiver, qui peut être très rigoureux dans cette plaine située à quelque 900 m d’altitude.

Dans un appartement plus confortable, mis à disposition par des habitants de la ville, vivent plusieurs familles chrétiennes, des parents du Père François Mourad. Ce dernier a été assassiné par les terroristes islamistes le 23 juin 2013 dans le couvent franciscain Saint-Antoine de Padoue, à Gassanieh, près de Homs. «Quand ils ont attaqué le couvent, ils ont tué le Père François de 14 balles. Personne n’a pu lui venir en aide... Ils l’avaient menacé depuis plusieurs mois parce qu’il refusait de se convertir à l’islam», témoigne Gilberte. Cette étudiante de 18 ans a perdu tous ses diplômes quand son école, à Alep, a été détruite dans les combats. Ses certificats d’étude brûlés, elle ne peut pas s’inscrire à l’Université. A ses côtés, son frère Joseph, âgé de 22 ans, gagne quelques sous comme coiffeur. Avant sa fuite, il possédait sa propre boutique à Alep.

«On était protégés par l’armée syrienne à Alep, mais coincés d’un côté par le Front al-Nosra et de l’autre par le groupe Etat islamique. On ne pouvait plus rester», ajoute-t-elle, tandis que circule la photo du prêtre martyrisé, mort à l’âge de 48 ans. A l’évocation de son fils, la mère octogénaire, aujourd’hui malade, se met à pleurer. Gilberte et Joseph cherchent à obtenir un visa pour l’Australie, car ils ne voient pas leur avenir dans une Syrie dévastée, qui s’est divisée sur des bases politico-confessionnelles.

Retenir les chrétiens

«Nous encourageons les chrétiens à rester ici, avant de pouvoir retourner en Syrie. Déjà une cinquantaine de familles ont émigré, d’autres sont rentrées près de Homs. Ici, tous ont envie de partir, mais nous essayons de les retenir, car il ne faut pas vider le Moyen-Orient de ses chrétiens», souligne Mgr Darwish. Grâce aux soutiens qu’il reçoit, l’archevêque veut construire des logements pour les réfugiés, mais il admet que le Gouvernement libanais ne permet pas facilement aux Syriens de s’établir dans le pays. «Les tensions sont perceptibles dans la population, car il y a aussi beaucoup de Libanais qui vivent dans la pauvreté. Nous aidons les Syriens, mais aussi les Libanais. Grâce à l’aide d’AED, nous pouvons offrir un repas chaud à midi.»

Comme les autres leaders chrétiens rencontrés par la délégation commune de la Conférence des évêques suisses et de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse qui s’est rendue au Liban du 23 au 27 novembre, Mgr Issam Darwish ne souhaite pas la chute brutale du gouvernement de Bachar al-Assad. «La Syrie n’est certes pas un Etat démocratique, mais c’est néanmoins un Etat laïc. Avant la guerre, les chrétiens vivaient plus ou moins bien en Syrie. Si le régime s’effondrait, c’en serait fini de la présence chrétienne dans ce pays!» Cath.ch

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Vibrant appel à la solidarité

Les chrétiens de Syrie et d’Irak réfugiés dans les pays voisins doivent pouvoir rentrer chez eux. Le fait qu’ils soient forcés de quitter des terres qui ont vu naître le christianisme est une «tragédie». Il faut œuvrer pour qu’ils ne soient pas déracinés, estime la délégation de la Conférence des évêques suisses (CES) et de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), qui s’est rendue à la fin novembre au Liban. Les œuvres d’entraide des Eglises accomplissent au Liban des services indispensables dans l’accompagnement des réfugiés, notent la CES et la FEPS. Elles appellent les fidèles et les responsables politiques en Suisse à soutenir leurs coreligionnaires opprimés moralement et matériellement par des dons ou des collectes durant la période de l’Avent et de Noël. JB

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Repères

Nombreux enfants non scolarisés

> Plus de 1,5 million de Syriens ont trouvé refuge au Liban, soit près du tiers de la population libanaise. Il faut y ajouter plus de 50 000 Palestiniens et presque autant de Libanais vivant en Syrie, qui sont arrivés au Liban en raison de la guerre dans ce pays.

> La grande majorité des enfants syriens réfugiés au Liban ne fréquentent pas l’école, C’est une véritable «bombe à retardement… des proies très faciles pour les djihadistes», selon Michel Constantin, directeur régional de l’Association catholique CNEWA. Sur 600 000 enfants syriens, seuls 75'000 sont scolarisés.

> La plupart des enfants syriens, n’ont pas fréquenté l'école pendant plusieurs années. Ils n’ont donc plus le niveau. Dans les classes, des élèves de 12 ans se retrouvent avec des enfants de 8 ans. JB

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