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Religions

Les juifs égaux en droits depuis 150 ans

Histoire • L’exclusion et la persécution ont marqué l’histoire des juifs de Suisse pendant des siècles. La révision partielle de la Constitution fédérale, en 1866, leur a accordé la liberté d’établissement et l’égalité des droits civiques.

Des enfants dans la vieille synagogue de Berne, en 1898.

Maurice Page, Cath.ch

Maurice Page, Cath.ch

15 janvier 2016 à 12:06

Il y a 150 ans, le 14 janvier 1866, un vote du peuple suisse accordait la liberté d’établissement dans le pays et le plein exercice des droits civiques aux juifs de Suisse. Jusque-là, ils étaient officiellement confinés dans les deux villages d’Endingen et de Lengnau, dans le Surbtal argovien. Pour célébrer cet anniversaire, un événement culturel aura lieu ce dimanche au Forum Kornhaus de Berne, en présence du conseiller fédéral Johann Schneider Amman. Une exposition de photos et diverses manifestations marqueront également cet événement tout au long de l’année. Pour les 18'000 juifs suisses, cette étape de leur histoire a valeur de symbole.

L’émancipation complète des juifs de Suisse fut une démarche longue et complexe qui prit presque un siècle, tant les résistances étaient fortes envers cette minorité religieuse pourtant très peu nombreuse. La votation populaire du 14 janvier 1866 n’en fut d’ailleurs pas l’étape ultime. Seule la nouvelle Constitution fédérale de 1874 scella définitivement le principe de l’égalité de tous les citoyens indépendamment de leur appartenance religieuse.

Du XVIIe au milieu du XIXe siècle, les deux villages d’Endingen et de Lengnau, dans la vallée de la Surb, dans le comté de Baden, étaient les deux seules localités de la Confédération où les juifs avaient le droit de s’établir durablement et de former des communautés. Les juifs recevaient une «lettre de protection» qui fixait leurs conditions d’établissement et qu’ils devaient renouveler tous les 16 ans. Limités dans leurs activités professionnelles et sociales, ils étaient considérés comme des «protégés étrangers». Ne pouvant pas être artisans, ni paysans, ils se firent commerçants ambulants, marchands de bétail ou prêteurs d’argent. Au milieu du XIXe siècle, ils formaient entre le tiers et la moitié de la population locale.

Autonomie religieuse

En revanche, les juifs bénéficiaient d’une large autonomie dans leur vie religieuse et communautaire. L’assemblée de la communauté élisait un comité chargé des diverses fonctions, le rabbin exerçait la justice civile selon les usages juifs, il était aussi notaire et officier d’état civil. La communauté s’occupait du culte, mais aussi de l’école, des pauvres et des orphelins. En 1750, les juifs de la vallée de la Surb érigèrent une synagogue et fondèrent un cimetière.

La «guerre des pruneaux»

La chute de l’Ancien Régime, après l’invasion française de 1798, introduisit en Suisse le principe révolutionnaire de l’égalité des droits de tous les citoyens. Sous la République helvétique, les réformateurs suisses tentèrent d’obtenir de la diète d’Aarau l’émancipation des juifs, mais ils n’y parvinrent pas. Malgré le faible nombre de juifs vivant en Suisse, la lutte entre les partisans de l’Ancien Régime et les tenants du changement se cristallisa autour de ce thème. L’exaspération fut si forte que la populace se retourna contre les juifs d’Endingen et de Lengnau dont les villages furent saccagés lors de la «guerre des pruneaux» de 1802. En 1803, Napoléon, par l’Acte de Médiation, rétablit l’ancienne Confédération avec ses cantons souverains. L’égalité des juifs n’est plus à l’ordre du jour.

A noter que les juifs venus de France bénéficiaient cependant de l’égalité des droits en tant que citoyens français. Même après la chute de Napoléon, ils continuèrent de recevoir le soutien diplomatique de la France.

Après la guerre du Sonderbund en 1847, la Confédération suisse moderne vit le jour par la Constitution fédérale de 1848. Ce texte fonda la liberté de mouvement et d’établissement sur tout le territoire fédéral pour les Confédérés chrétiens, mais pas pour les juifs. Même si la pratique s’assouplit et si les juifs du Surbtal purent s’établir à Baden et à Zurich, ils n’avaient pas l’égalité des droits.

Pressions étrangères

Les choses évoluèrent lentement. En 1862, le canton d’Argovie, où vivait la majorité des juifs du pays, leur accorda l’émancipation. Mais ce sont surtout les pressions étrangères des Etats-Unis, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la France qui feront sauter le verrou. Ces Etats ne pouvaient en effet pas tolérer que la Confédération suisse ne reconnaisse pas les mêmes droits à leurs citoyens de confession juive. Le 14 janvier 1866, le peuple suisse accepta par 53,2% et 12,5 cantons «l’égalité des citoyens au point de vue de l’établissement et de la législation». La liberté de conscience et de culte, refusée en 1866, arrivera avec la nouvelle Constitution fédérale de 1874.

Beaucoup de juifs quittèrent alors le Surbtal pour s’installer dans les villes où des communautés se développèrent et construisirent des synagogues. Ils furent rejoints par des vagues d’immigrations successives, d’abord d’Alsace, alors allemande, puis d’Europe orientale. La population juive atteint 20 000 personnes à la veille de la Première Guerre mondiale dans 25 communautés regroupées depuis 1904 au sein de la Fédération suisse des communautés israélites. (FSCI).

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Sabine Simkovitch-Dreyfus

>  Pour la vice-présidente de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI), cette histoire est celle d'un enrichissement mutuel entre la Suisse et les juifs.

Pourquoi célébrer cet anniversaire d'un fait aujourd'hui lointain?

L’objectif de cette commémoration est d'abord historique. Il s'agit de rappeler des faits que beaucoup de gens ignorent. Les juifs sont présents en Suisse depuis très longtemps et ont lutté pour être reconnus. Cet anniversaire rappelle aussi que les droits des minorités n'allaient pas de soi au XIXe siècle. La FSCI avait déjà commémoré les 100 ans en 1966. Nous voulons aussi parler de la communauté juive sous un angle différent et positif. Cette histoire est finalement celle d'un enrichissement mutuel entre la Suisse et les juifs. La Suisse est faite de diverses minorités. Il faut la volonté de vivre ensemble, malgré les difficultés qui existent et que l'on ne peut pas nier.

L'actualité des juifs se concentre toutefois surtout sur l’antisémitisme ou le conflit israélo-palestinien...

Pour nous, il est important de pouvoir parler de notre judaïté aussi au-delà de ces questions d'antisémitisme ou de politique israélienne. Ce sont des réalités, mais ce n'est pas l'objet de cette commémoration. Nous nous sentons à la fois profondément juifs et Suisses. Nous sommes intégrés depuis longtemps dans le pays, à un point tel qu'en tant que petite communauté, nous courons aussi le risque d'une assimilation complète et en fin de compte d'une disparition.

Le vecteur principal de cette commémoration est une exposition de photos?

L'exposition de photos présente le portrait de quinze personnes juives de Suisse connues ou inconnues, qui parlent de leur judaïté et de leur «suissitude». Elle est un moyen de nous faire connaître et de combattre certains préjugés. Après le vernissage à Berne, elle circulera en Suisse.

Propos recueillis par MP

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