Célibat du prêtre, le tabou résiste à tout
Eglise catholique • Lorsqu’un prêtre rompt la règle du célibat, les conséquences sont lourdes, pour lui et sa famille. Des solutions sont demandées aux évêques, alors que le pape François suscite de grands espoirs.
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Dominique Hartmann
18 août 2015 à 19:59
Le 14 juillet dernier, elles ont repris la plume. Un an plus tôt, jour pour jour, les femmes actives au sein de la ZöFra avaient enfin réussi à rencontrer une délégation de la Conférence des évêques suisses (CES). Objectif: sensibiliser à la question du célibat des prêtres et demander d’intervenir pour éviter une mise à pied du prêtre concerné. A terme, la ZöFra demande l’abandon du célibat obligatoire.
La président de l’association, Gabriella Loser Friedli, qualifie l’entretien de très positif: «J’ai senti une véritable ouverture de la part des trois évêques du comité de la CES, pour la première fois depuis 1997, lorsqu’avait déjà eu lieu une rencontre. Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, Mgr Markus Büchel, président de la CES et évêque de St-Gall, et Mgr Denis Theurillat, évêque auxiliaire du diocèse de Bâle, ont promis de sensibiliser leurs collègues. Mais depuis, nous n’avons plus rien entendu.» Pour l’anniversaire de la rencontre, elles ont donc à nouveau écrit à la CES.
La persévérance, la ZöFra connaît. Depuis 1987, alors simple réseau sans structure juridique, elle a accompagné quelque 600 femmes qui ont une relation amoureuse avec un prêtre catholique. De plus en plus, des prêtres s’adressent aussi à l’association qui peut compter aujourd’hui dans toute la Suisse sur un réseau d’environ 2500 personnes, membres, sympathisants et anciens prêtres.
Amour clandestin
On estime à près de 120 les prêtres et religieux en activité (sur environ 2660) vivant une relation amoureuse clandestine. La ZöFra se bat pour sortir de l’ombre ces couples - illégitimes aux yeux de l’Eglise - confrontés aux difficultés matérielles, au rejet et à la solitude. «Nous voulons seulement que l’Eglise ait une attitude un peu plus humaine», explique Gabriella Loser Friedli.
Lorsqu’un prêtre rend publique sa relation - ou lorsqu’il est dénoncé -, il est en effet suspendu de ses fonctions sacerdotales. S’ensuit une marginalisation professionnelle et sociale, mais aussi une rupture affective avec la paroisse où le prêtre exerçait et avec l’institution elle-même, qu’il avait choisie. Sans compter la difficulté de retrouver un emploi: «Qui va engager un homme de 50 ans qui a passé toute sa vie dans l’Eglise?»
Outre le soutien qu’elle apporte aux compagnes et aux enfants touchés, la ZöFra intervient donc auprès de la structure diocésaine pour plaider, par exemple, la cause d’un prêtre sud-américain remercié pour s’être marié et menacé du coup de perdre son autorisation de séjour (c’était auprès de Mgr Genoud). Pour remettre directement une demande en mains épiscopales et éviter ainsi un barrage opposé par l’entourage de l’évêque, soucieux de lui éviter «trop de demandes». Ou encore pour accompagner un prêtre réclamant son droit au chômage au tribunal.
C’est aussi à l’égard de la base de l’Eglise que le traitement réservé aux prêtres mariés semble peu charitable à la présidente de la ZöFra: les paroisses manquent en effet cruellement de collaborateurs qualifiés et les personnes motivées s’épuisent: «Pourquoi se passer de personnes aussi formées et engagées?»
L’Eglise désunie
Dans les faits, la ZöFra joue souvent un rôle qui revient aux évêques. «Ils l’ont d’ailleurs reconnu lors de la rencontre de l’an dernier», se réjouit Gabriella Loser Friedli. Selon le droit canon, l’évêque est en effet responsable du prêtre jusqu’à ce que celui-ci ait retrouvé une situation de vie digne.
Parmi les évêques suisses, les positions sur le célibat des prêtres varient, rappelle Gabriella Loser Friedli; trouver une stratégie commune semble donc très difficile. Du coup, les cas sont traités de façon individuelle - et divergente. Tandis que l’un engagera dans son diocèse le prêtre redevenu laïc, un autre, qui siège au comité directeur d’une œuvre d’entraide, fera obstruction à son engagement. «Il jugera volontiers l’ancien prêtre indigne de confiance puisque celui-ci a enfreint la règle de célibat qu’il avait d’abord acceptée.»
Selon Gabriella Loser Friedli, les relations entre la hiérarchie et les collaborateurs sont minées par le manque de confiance: «Certains prêtres ont une peur bleue de s’ouvrir à leur évêque quand ils rencontrent un problème d’alcool ou tombent malades. Que dire quand ils se mettent en couple?» Pour ne pas être acculés à une décision difficile, «certains évêques préfèrent d’ailleurs fermer les yeux», note la présidente, elle-même en couple depuis 21 ans avec un ancien religieux dominicain.
En 2013, lorsque Benoît XVI avait démissionné, la ZöFra avait souhaité que son successeur soit plus ouvert à la question du célibat des prêtres. «Jusqu’ici, le pape François ne m’a pas déçue, se réjouit Gabriella Loser Friedli. Pour la première fois, un pape s’est adressé aux catholiques pour connaître leurs opinions en vue du synode sur la famille de l’an dernier. Quant au célibat obligatoire, il a suggéré que la discussion était possible. C’est vrai, ce pape suscite beaucoup d’espoir en moi.» Parlant de l’Eglise, François évoque ce «noyau dur» qui réunirait tout catholique, auquel s’ajoutent les particularités locales fonction des sensibilités nationales (ce qu’il nomme la «symphonie des différences»). «Le célibat des prêtres pourrait en être une. L’Eglise catholique orthodoxe le montre bien.»
Le Courrier
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Un peu mieux en Suisse
En Suisse, la situation des prêtres mariés est «privilégiée» juge la ZöFra (Association des femmes touchées par le célibat des prêtres) qui entretient des relations régulières avec d’autres mouvements semblables en Europe et au Canada.
Forte d’une tradition démocratique, l’Eglise catholique est habituée «à régler les problèmes de façon un peu plus participative qu’ailleurs», estime Gabriella Loser Friedli. De plus, les paroisses détiennent des fonds, ce qui n’est pas le cas de l’Allemagne par exemple, où tous les moyens financiers sont entre les mains du diocèse. «Une paroisse peut très bien décider de garder «son» prêtre, même marié, et c’est d’ailleurs arrivé quelques fois. Néanmoins, lorsque la famille de celui-ci s’agrandit, le salaire doit suivre, ce qui peut devenir un problème quand les paroissiens doivent financer eux-mêmes le prêtre avec famille, avertit-elle. Pour sa part, la ZöFra fonctionne uniquement grâce à des dons, elle ne reçoit pas de subventions. Dhn
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