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Société

Populations ignorées de l’histoire. penser la norme depuis la marge

Intellectuelle féministe renommée, Gayatri Chakravorty Spivak dénonce le silence entourant certaines populations ignorées de l’histoire et s’engage dans l’éducation rurale.

Gayatri Chakravorty Spivak est l’une des figures de proue des études postcoloniales. © Alice Attie

Dominique Hartmann, Le Courrier

Dominique Hartmann, Le Courrier

4 décembre 2023 à 15:45

Temps de lecture : 1 min

Vouloir brosser le portrait de Gayatri Chakravorty Spivak en un article de presse? Ne même pas y songer. La pensée de la philosophe indienne, riche de décennies de travail universitaire et de terrain, est complexe, rhizomique, follement intéressante. Le personnage, caustique et chaleureux à la fois. Cette professeure de littérature comparée à l’Université de Columbia, aux Etats-Unis, née à Calcutta en 1942, est l’une des figures de proue des subaltern studies, qui s’intéressent aux populations ignorées par l’histoire officielle – pauvres, colonisés, etc. Elle s’exprimait vendredi à Genève, à l’invitation de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève dans le cadre d’un cycle intitulé «Prendre soin dans le monde – perspective du care et formations d’adultes». Bribes glanées lors de la conférence publique et d’une rencontre avec des étudiants de diverses facultés.

L’autrice, qui se définit comme «marxiste-féministe-déconstructionniste», est largement associée aux études postcoloniales qui ont éclos dans les années 1980 dans le monde anglo-saxon. Elle est l’une de celles qui ont théorisé la nécessité de penser la norme depuis la marge. L’un de ses ouvrages les plus connus dénonce ainsi en 1988 la difficulté des populations «subalternes» à se faire entendre. Le livre est dense et, de l’aveu même de Gayatri Chakravorty Spivak vendredi, «trop long et difficile». Elle raconte avoir supplié son éditeur de pouvoir y apporter des changements, but this bloody man («ce satané bonhomme») l’a fait réimprimer tel quel, soupire-t-elle. Retraduit en 2020, Les subalternes peuvent-elles parler? est assorti d’une sage recommandation du traducteur, Jérôme Vidal: «Ne pas s’accrocher à chaque phrase prise isolément, lâcher prise…»

Des paroles inaudibles

Mais qui sont au juste les «subalternes» – du terme forgé par le philosophe italien Antonio Gramsci? Pour Gayatri Chakravorty Spivak, cette catégorie est féminine lorsqu’elle axe sa démonstration sur un récit familial – le suicide d’une grand-tante – et sur une tradition hindoue, celle du sacrifice des veuves au bûcher. Dans les deux cas, la parole des femmes n’est pas sollicitée, les hommes parlant à leur place. Le geste fatal de son aïeule a été retenu comme motivé par un amour illicite, alors même que celle-ci – membre d’un groupe armé indépendantiste indien – avait laissé une lettre expliquant son incapacité à mener l’assassinat politique dont elle avait été chargée. Globalement, le courant de pensée subalterniste vise un recentrement sur les subalternes – les pauvres, les colonisés, les invisibles – comme véritables agents du changement social et politique. C’est grâce à Gayatri Chakravorty Spivak qu’il a intégré les apports de la théorie féministe.

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