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La Conspiration de Vaduz (1/3) – La Fuite

L’article en ligne – nouvelle » Première partie de cette nouvelle à l’intrigue locale et toutefois imaginaire...


Amédée Hirt

Amédée Hirt

16 janvier 2023 à 13:11

Un énorme corbeau, noir, luisant, monstrueux, sautillait devant le soupirail. Dans ses yeux globuleux, brillants comme deux billes d’obsidienne, se reflétait la lune, pleine et ronde. Elle allait, pour la quatrième fois depuis l’arrivée de G., commencer à décroître.

Le volatile le narguait depuis cette ruelle pavée, pendant que, bloqué dans ce studio en demi-sous-sol, il recomptait encore une fois les catelles. Son frère lui avait pourtant promis que cela ne serait que temporaire et qu’il trouverait une solution rapidement. Voilà deux semaines qu’il était parti à la recherche d’un passage. Mais depuis, pas de nouvelles. G. s’impatientait. Il devait absolument quitter la ville. Et rapidement.

L’estomac de G. gargouillait. A l’instant où il allait céder à la tentation du gruyère camouflé dans le double-fond du frigo, un lourd « dong » le fit stopper son mouvement. Les cloches de l’église St-Michel annonçaient le couvre-feu à la ville étouffée. Dans la ruelle, le corbeau s’envola dans l’obscurité naissante de cette nuit de juin. Cette fois, G. était vraiment seul.

De lourdes bottes résonnèrent dans le couloir. Une clé força la serrure du studio. G. se rapprocha du soupirail et le déverrouilla discrètement, prêt à tenter la fuite.

- Tu penses vraiment pouvoir sortir par ce petit trou ? Je sais pas si tu t’es revu dans un miroir depuis que tu es enfermé ici, mais c’est pas beau à voir…

C’était F. Il semblait de bonne humeur. C’était bon signe. G. regarda son frère :

- Qu’est-ce qui t’a pris autant de temps ? Ils ont réouvert le Popu et tu es tombé au fond d’une canette ?
- Si seulement… Si tu savais ce que je donnerais pour une bonne bière en terrasse... Mais tu sais comment c’est depuis le Coup d’État… Les Monars ont tout fermé. A part les églises, bien sûr…
- Satanés monarchistes liechtensteinois… J’arrive toujours pas à comprendre comment ils ont réussi à se créer un tel réseau de soutien, sans qu’on remarque rien… Je veux dire, bien sûr qu’on connaissait les envies d’invasion de leur prince là. Leur Fürst Hans-AirMax ausbeimitnachseitvonzu Liechtenstein. Mais bon, de là à faire sauter le Palais fédéral et renverser le Conseil fédéral…
- Je t’ai déjà dit 600 fois, c’est Hans-Hermann von und zu Liechstenstein, même si tout le monde l’appelle AirMax. Enfin bref, j’ai trouvé un moyen de te faire sortir de la ville.

F. lança sur le lit un sac en plastique, gonflé comme un bide à bière. G. s’en saisit en en sortit deux longues robes bordeaux et deux autres plus courtes, blanches et dentelées. Les mains serrées sur le tissu, il se tourna vers son frère, la respiration saccadée :

- C’est quoi ces aubes ? T’es pas fou non ? Tu veux nous faire passer pour des prêtres ?
- Calme-toi ! déjà ce ne sont pas des aubes, mais des soutanes et des surplis. Et je ne veux pas nous déguiser en prêtres, mais en thuriféraires.
- Des thurifé… quoi ? Qu’est-ce que c’est que ce plan foireux, F. ?

F. souriait comme un enfant qui s’apprête à joue un mauvais coup. Il répondit l’air espiègle :

- Regarde au fond du sac. Tu comprendras.

G. attrapa brutalement le cornet dans un tintement métallique. Les mains tremblantes, ses yeux s’arrêtèrent sur deux sphère dorées et argentées.

- Des encensoirs… Je sais vraiment pas ce que tu veux nous faire faire avec ces espèces de chichas à prière. S’il te plait, F., explique-moi ?, implora G.
- Bon d’accord, acquiesça son frère avec compassion. Comme tu le sais peut-être, ce jeudi, c’est la Fête-Dieu. Comme c’est l’une des rares fêtes autorisées par le régime de Vaduz, la ville sera pleine de monde. Étroitement surveillée certes, mais pleine. Comme le veut la tradition, la messe sera célébrée dans la cour du Collège et ensuite, un cortège traversera la ville jusqu’à la Cathédrale. Et devine par où il passe ?
- Juste devant chez toi ?
- Précisément ! Tu comprends vite quand on t’explique longtemps ! Le plan est simple. Déguisés en thuriféraires, on infiltre le cortège, on traverse la ville, peinards, et une fois arrivés à la cathé, on attend. Là, j’ai un ami au Contingent des grenadiers fribourgeois, tu sais, ceux qui annoncent le départ d’un coup de canon. Bref, on s’est arrangé pour qu’il simule un accident avec la poudre.
- Boum ! Plus de cathédrale ! J’aime ça haha !
- Sois pas si enthousiaste. Il va juste faire du bruit pour détourner l’attention. On va profiter du chaos pour s’éclipser discrètement direction les escaliers du pont de Zähringen, et de là, vers la vallée du Gottéron. Si tout se passe comme prévu, jeudi après-midi on aura rejoint la campagne singinoise.
- Et après ? C’est bien beau tout ça, mais on doit quand même aller jusqu’à Kandersteg. On va pas traverser la moitié du canton de Berne déguisés en moines.
- Tout est prévu, j’ai un contact qui nous attendra à Alterswil. L’Argovien, il s’appelle. Tu peux lui faire confiance. Avant la fin de la semaine on sera les deux bien au chaud dans un bunker au milieu des Alpes, avec ce qui reste du Conseil fédéral. Tu la reverras ta présidente adorée.

G. fixa son frère, l’espoir timide :

- Puisses-tu dire vrai…

F. s’approcha du lit qu’il partageait avec G. et commença à défaire les lacets de ses bottes de combat. Du coin de l’œil, il regardait son frère dont la barbe noire menaçait d’être enflammée par les bougies qu’il éteignait. F lança avant de s’allonger sur le matelas :

- J’espère que tu n’as pas utilisé toutes tes lames de rasoir. Les Liechtensteinois ont interdit la barbe, donc va falloir raser tout ça avant jeudi.

A suivre…

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