Epilogue - Et la ligne signa sa fin
Les dix-sept rideaux de cette histoire tombent désormais pour de bon. Mais la fin d’un récit, dit-on, semble entrevoir l’horizon d’un ailleurs aux mille et une nouvelles, et de cet ailleurs, la Page Jeunes continuera à en narrer les chapitres.
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Kimy Dieu
13 janvier 2024 à 12:31
Article en ligne – Nouvelle » Ses mots résonnèrent dans un ultime écho à travers la salle, vibrant chaudement dans les esprits d’un public qui avait bu ses paroles. Bercés par les effluves d’un alcool qui pulsait dans leurs veines, ces hommes s’étaient enivré des histoires sans fin qui leur avaient été contées. Leur silence vrombissait dans la taverne comme le reflet de leur étrange stupéfaction ; jamais La Rose des Vents n’avait connu pareil calme. Assis au bar, le Vagabond sirotait son verre de vin d’un flegme insultant, observant de temps à autre la lumière des néons osciller à la surface de son breuvage. Ses pensées y flottaient comme des bulles que des applaudissements soudains manquèrent de faire éclater. Ils fleurirent à une tablée, éclosant à une autre, jusqu’à ce que la pièce ne devienne plus qu’un jardin au pollen porté par les sifflements des uns et les acclamations d’un tel. Mais face à cette floraison de louanges, la Diseuse demeura de marbre ; ses traits sculptés dans une immobilité éternelle.
- Je suis ravie d’avoir pu assister à la nuit de vos contes, ma chère dame, déclara Aelna d’une voix enjouée. Hélas, mon établissement est malheureusement régi par les funestes heures du jour. La lune est déjà haute dans le ciel et je n’aimerais pas la voir se coucher avant moi. Alors, Mesdames et Messieurs, poursuivez donc la suite de vos histoires derrière les portes de vos songes, car vos lits vous y attendent les bras ouverts.
A nouveau, des applaudissements fusant de toute part, puis le vacarme d’un remue-ménage de chaises poussées, de verres terminés à la hâte, de manteaux enfilés sous les airs d’une ébriété passagère. Le vent de la ville s’engouffra un instant dans la taverne, et souffla de sa brise les dernières traces de vie qui avaient marqué ces lieux, embaumant la pièce de l’odeur moite des pavés délavés par la pluie. Enfin, la porte se referma dans un dernier soupir, et avec elle, la figure ombragée d’une Diseuse que les ténèbres d’une nuit s’empressèrent de dévorer.
- Alors ? se hasarda Aelna.
- Alors quoi ? lui répondit le Vagabond.
- Quelles sont les impressions d’un homme impressionnant ?
- C’était une histoire à la trame suffisamment fantaisiste pour laisser l’esprit vagabonder le temps d’un soir. Hélas, le réel finit toujours par nous réveiller de ses griffes. Et alors, plus de joyeux mirages, plus de songes, seulement les murs d’une taverne sur le point de fermer ses portes, fit le Vagabond en regardant autour de lui, une triste lueur brillant dans ses yeux.
- C’est ton sérieux qui finira par avoir raison de toi, si tu veux mon avis, soupira la sommelière. Enfin, on ne refait pas le monde, ni les gens. Pour ma part, son récit m’a amusée ; j’aurais bien voulu rencontrer ces dieux et ces hommes, cette vie et cette époque, mais je suis devenu trop vieille pour vadrouiller ainsi, se lamenta-t-elle d’un ton nostalgique. Un dernier verre ?
- Non merci.
- Dans ce cas, il sera pour moi.
- Tu bois pendant le travail ?
- La taverne est fermée, alors il en va de même pour mon service.
- Pourtant, il te reste encore ce client avec qui tu discutes.
- Eh bien ! T’entendrais-je faire preuve d’humour ?
- Peut-être.
- Quelle bonne blague ! Cette soirée ne finira pas de me surprendre, ria doucement Aelna. Mais permets-moi de te corriger : à cette heure-ci, tu es un ami, non un client.
- Tu me portes donc à ce rang-là ?
- Effectivement, je te porte à ce rang-là. Tu ne viens plus si souvent à La Rose des Vents, alors ne me blâme pas de profiter de tes arrivées fugaces.
Un timide sourire fendilla son visage d’un délicieux arc de cercle. Le plaisir des retrouvailles, teinté d’une joie vibrant dans les âmes. A ceux qui auraient tendu leurs oreilles derrière la porte de cette taverne, les bribes d’une conversation où dansaient le tout et le rien leur seraient peut-être parvenus dans un écho qui résonna jusqu’aux aurores. Dans la lueur de ces rayons naissants, le Vagabond sinua à nouveau entre les rues de cette ville qui chantait sous ses pas. Il en arpentait les boulevards et les avenues, se laissait emporter dans ce dédale aux murs blancs de craie, gris de roche, crème de bois. En trouva-t-il la sortie ? Peut-être. Croisa-t-il le regard de cette jeune femme à l’œil éborgné par les histoires, à l’angle d’une allée, qu’il bouscula par mégarde, inondé par le flot de ses pensées ? Sans doute. Entendit-il le clocher de cette place résonner de ses cloches du matin, cette place qu’il traversa à la hâte, porté par les plumes des anges qui en avaient façonné le sol ? Sûrement. On vit le Vagabond s’arrêter un instant au cœur de cette ville érodée par les siècles, lever la tête vers ces cieux qui l’observaient d’un étrange regard. Ses étoiles mouraient sous les assauts d’un jour grandissant, mais dans leurs soupirs, il lui sembla discerner le scintillement d’une constellation oubliée par les âges. Le Petit Dieu, parcourant à nouveau les chapitres d’une prochaine histoire.
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