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Chapitre 6 – Orion

Les dieux savent éteindre les étoiles, dit-on. Toutefois, il arrive que certains d’entre eux viennent à oublier que lorsque l’une d’elles cesse de briller, une autre continue d’éclairer le ciel…


Kimy Dieu

Kimy Dieu

9 juillet 2023 à 23:55

Article en ligne – Nouvelle » Les nuages voilaient le ciel de leur masse grise, laissant retomber dans leur perpétuelle avancée les larmes des cieux, tandis que les éclairs striaient de leur rayon un décor figé dans le marbre. Le grondement du tonnerre vibrait au rythme de sa course, comme poussé par le désir de les voir s’en aller toujours plus vite, toujours plus loin. Le souffle haletant, il soutenait avec difficulté le corps de son frère qui titubait à ses côtés, peinant à tenir la cadence. D’une main, celui-ci tentait vainement de comprimer les blessures qui perforaient son corps, laissant couler un filet rougeâtre que la pluie venait laver. 

- Alors, tu te décides quand même à apprécier le goût du voyage, petit frère, dit Daxe d’une voix à peine perceptible. J’aime ton enthousiasme, tu sais, mais pas ton impatience, alors ça te dirait de ralentir un peu, juste le temps que je reprenne mon souffle.
- Boucle-la, idiot.
- Et ta sympathie aussi, ça j’aime venant de ta part. 

Ignorant la remarque de son frère, il se mordit la lèvre pour se retenir de ne pas le lâcher sur le sol engorgée d’eau. Daxe pouvait ramper, saigner, être à terre, tant que la parole habiterait encore son être, il continuerait à rire et à plaisanter, en arborant un sourire sot sur son visage. Oui, c’était bien son frère, et il était content de savoir que son caractère taquin ne l’avait pas encore quitté. Hélas, cela ne durerait pas, et il le savait, voilà pourquoi il était là, courant comme un fou sur une route infinie, le bras de Daxe par-dessus son épaule. 

Si la bêtise dont faisait preuve son frère savait en exaspérer plus d’un, les dieux n’y échappaient pas. Il le revoyait encore, le regard empli de mépris, un sourire mesquin fendant son visage. Il entendait résonner dans son esprit les mots qu’il avait prononcés aux portes de la Capitale, alors qu’ils s’apprêtaient à quitter la ville des plaisirs et de l’insouciance. 

- Même pas un au revoir, avait dit l’homme.
- Non, on n’en a pas vraiment envie, avait répliqué Daxe.
- Vraiment ? Même pas au dirigeant de la Capitale ?
- Même pas au dirigeant de la Capitale.

Un long silence avait suivi et l’homme avait été frappé d’une soudaine curiosité. Il s’était rapproché de l’oreille de Daxe et lui avait soufflé ces paroles : 

- Même pas à un dieu.
- En êtes-vous un, mon cher ? avait demandé Daxe d’un air de défi. 
- Selon vous ?
- Vous me semblez plutôt petit, avec un air trop niais selon moi. En fait, pas vraiment l’image que je me fais d’un dieu. 
- Ah bon ? Et quelle est-elle, se hasarda à poser l’homme.
- Plutôt celle d’une personne qui laisse les voyageurs poursuivre leur route. 

L’homme avait ri, ri comme un aliéné. Lorsque celui-ci avait repris la parole, sa voix portait l’écho d’une sombre menace.

- Je vous ai vus, vous savez. Rire, plaisanter, trinquer et boire à l’excès. Discuter autour d’une table, parler des rumeurs qui hantent les rues de ce monde, partager vos doutes et vos peurs. J’aime votre humour, j’aime votre façon d’être, j’aime votre philosophie de vie. Alors, continuez ainsi, après tout c’est à vos risques et périls, avait-il dit en s’écartant du chemin.
- Merci pour le conseil, j’en prendrais note, avait répondu Daxe.
- Ne me remerciez pas, ce serait trop bon de votre part, après tout, c’est moi qui devrais vous être reconnaissant. J’ai finalement pu faire la rencontre d’un vrai vagabond, et croyez-moi cette rencontre me rebute au plus haut point.

Sept échos avaient résonné à travers la Capitale, sept balles avaient été tirées et sept balles avaient touché leur cible. 

- A tel point que me salir les mains pour vous n’en vaut pas la peine. Faites donc bonne route, voyageurs. Si un jour l’envie vous prend de revenir à la Capitale, soyez sans crainte, j’en serai averti à temps. 

Sur ces mots, l’homme avait tourné ses talons et avait laissé les deux vagabonds à leur sort. L’un mourant, l’autre vivant, les deux fuyant la cité qui les avait accueillis.

Ne pouvant plus avancer, ses jambes le suppliant de s’arrêter, Daxe cessa de suivre la cadence de son frère et s’effondra comme une pierre devenue trop lourde pour être portée, trop encombrante pour courir, et pourtant trop importante aux yeux de son frère. 

- Alors, on fait une pause ? dit Daxe
- Boucle-la et relève-toi, idiot.
- Dis-moi, tu crois que j’ai réussi à l’humilier ? demanda-t-il.
- Bien plus que tu ne le crois, lui répondit son petit frère en s’efforçant de ne pas verser de larmes. 
- Parfait, alors, répondit-il en riant. Humilier un dieu, une nouvelle tâche de faite sur ma liste.
- Tu n’es qu’un idiot, un pauvre idiot, tu sais ça.
- Oui, je le sais. Tu me le rabâches sans cesse, à force ça en devient presque lassant, mais j’aime t’entendre me donner des compliments, ça me flatte. 
- Sale con, relève-toi, répliqua son frère en tentant de le soulever. Daxe fit signe à son frère d’arrêter et d’une main lui passa une main dans les cheveux.
- Arrête, tu veux. Laisse-moi dormir un peu, je suis fatigué de t’entendre te plaindre à mes côtés. Tu sais ce qui m’attend, alors ne m’attend pas.

Des larmes glissèrent sur les joues d’un petit homme et on entendit voler dans l’air un nom d’oiseau.

- A bientôt, petit Orion. 
- A bientôt, Daxe.

La pluie avait cessé et le tonnerre avait fini de laisser entendre sa colère. Derrière lui, l’ombre de la Capitale se dressait tristement, comme endeuillée par la perte d’une victime d’un esprit ayant voulu voir trop grand. Devant lui, la route vers de nouveaux horizons, de nouvelles terres, lui tendait les bras, et cette fois-ci, il la sentit, la fièvre des voyageurs, l’étincelle des vagabonds. Un pas après l’autre, il arpenterait les chemins du monde et côtoierait les horizons. 
Orion, tel était son nom. Orion qui ferma les paupières de son frère et le pleura longuement. Orion qui se releva, mouillé par la pluie, sali par les blessures des évènements. Orion qui se jura d’instiller dans le cœur des dieux le souvenir d’un homme qui donnerait cher de leur peau…
 

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