Chapitre 4 – Retrouvailles

L’écho de ses pas résonnait à travers les murs de la salle, dont l’immensité aurait suffi à donner le vertige à n’importe quelle personne s’essayant à lever les yeux vers le plafond de marbre. Lui, il n’en avait cure. Dominer, toujours dominer, tel était le credo qu’il ne se privait jamais d’exhiber. Avec une assurance teintée de dédain, il avançait, toujours avec cette même lenteur effrénée, vers la seule figure qui trônait au centre de la pièce. D’un regard où se mêlaient l’ennui et la méprise, elle l’observait s’approcher d’un pas nonchalant. Un sourire moqueur se dessinait sur son visage, voilant un sadisme que des traces pourpres ne savaient pourtant cacher. Il s’arrêta, à quelques pas d’elle, et la fixa d’un regard à la malice presque palpable. Si le silence qui régnait entre eux savait faire le discours de leur regard, il ne fut que de courte durée, car le curieux visiteur se décida à le briser d’une voix enjouée.

- Eh bien ! Comment te portes-tu, ma chère sœur ?
- Toujours aussi bien, si ce n’est que ta présence vient souiller les murs de mon enceinte.
- Et toujours aussi accueillante, à ce que je vois, répliqua-t-il.
- Cesse donc ces futilités, elle ne m’amuse guère.
- Allons, rappelle-moi, de quand date notre dernière rencontre ?
- D’il y a suffisamment longtemps pour que ma mémoire soit parvenue à effacer les traits enjoués de ton visage balafré. D’ailleurs, mon garde a su te laisser sa marque, non ?
- Il faut croire que cela devait l’amuser, déclara l’homme en essuyant d’un revers de main le filet rougeâtre qui dévalait de son front. Mais j’ai su lui en offrir une belle aussi, un cadeau si impressionnant qu’il en a perdu la tête.

La demoiselle le jaugea d’un regard amusé. Comme mue par une curiosité que le discours de l’homme suscitait en elle, celle-ci se leva de son trône et s’approcha de lui d’un pas confiant. Dans son sillage, des gouttelettes cristallines voltigeaient à ses pieds, pareilles à des perles n’attendant que de recevoir un cou à orner.

- On dit que la Capitale a perdu sa couronne, la faute à l’œuvre d’un dieu plein de miséricorde. M’en diras-tu le contraire ? dit-elle en marchant autour de l’homme.
- Les rumeurs courent vite à travers Rosefield, répondit ce dernier, mais la vérité elle-même peine toujours à leur tenir la cadence.
- Et pourtant elle finit toujours par franchir mes frontières, et toi à ses côtés.
- Que veux-tu, je sais me faire apprécier, répondit l’homme d’un ricanement.
- Oh ! et je n’en doute pas, mon cher Lucius. Toutefois, le choix de tes compagnes parvient souvent à irriter ma bonne humeur.
- Devrais-je en déduire que celle que tu as en ce moment est encline à rattraper le temps perdu avec ton petit frère ?

En une fraction de secondes, les gouttes qui voltigeaient sur le sol de marbre se hissèrent au niveau du cou de Lucius. Un joli collier de piques, prêt à faire couler un peu de rouge en guise de pigments.
- Tant pis, j’avais même pensé à apporter le thé, mais faisons donc à ta manière. C’est vrai qu’elle sait donner à des retrouvailles leur saveur d’antan.

D’un claquement de doigt, trois lames apparurent dans le dos de la femme et allèrent se ficher dans son ventre. Le premier sang avait été versé, sans qu’elle n’ait pu s’en apercevoir, sans qu’elle n’ait pu émettre le moindre son, sans qu’elle n’ait pu lire le doute sur le visage d’un petit frère, qu’elle avait tant chéri.

- Ah là là ! Toi aussi, ma sœur, tu déçois mes attentes. J’aurais sincèrement pensé que ta sagesse te guiderait sur un chemin plus avisé, hélas, il est à tort de penser, j’aurais plutôt dû agir. Toi qui craignais l’immuable, laisse-moi donc effacer tes peurs, déclara Lucius.

Il approcha sa main de la joue de sa sœur, et lorsqu’il la retira, une marque grisâtre, dur comme la roche, finissait d’envelopper le corps de la demoiselle, figeant à jamais la figure d’une déesse au regard teinté de haine.
- A la prochaine ! dit-il en souriant.

Sur ces paroles, le bourreau de Rosefield quitta la salle dans le même écho avec lequel il était entré. Un écho froid, terne, morne. Les portes qui s’étaient fermées dans son dos avaient scellé le souvenir éternel d’une sœur ayant voulu empêcher une calamité, en vain. Néanmoins, elle savait qu’ailleurs, au-delà de l’horizon qui bordait la route des mondes, une flamme naîtrait, et elle espérait, elle espérait qu’elle brûlerait et consumerait à vif l’injustice qui l’avait fouettée à sang ce jour-là…