Chapitre 15 - Ode d'un autre temps
Le monde change, valse sans se reposer. Pas après pas, il avance les yeux fermés, ignorant le chemin qu’il a parcouru. Mais parfois, les bribes d’un passé ressurgissent, et c’est à reculons qu’il avance.
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Kimy Dieu
11 janvier 2024 à 18:34
Article en ligne – Nouvelle » Le vent balayait les allées de ses bourrasques venues des quatre horizons. Époussetant les pavés d’une cendre amenée par un autre temps, il épousa bientôt les formes d’une curieuse voyageuse, faisant voltiger sur un parterre de fleurs l’ombre de sa triste présence. Peut-être lui souhaitait-il la bienvenue dans cette ville mordue par les siècles, en lui laissant dans son sillage un bouquet aux fleurs écornées. Elle ramassa un pétale, l’observa un instant sous la pâle lueur du jour, puis le rendit aux mains d’un souffle fugace. La Capitale avait changé. Le monde avait changé. Et elle, elle ne demeurait que la spectatrice d’un nouvel âge auquel se succéderaient un jour ou l’autre les chapitres d’une nouvelle ère. Mais l’aube de ce futur prochain saurait se faire attendre, après tout, le temps ne courait-il pas en ce moment dans un présent encore juvénile ?
Des rires fusaient de la Place des Anges, mêlés aux tintements des verres trinqués à l’angle d’un quartier. De ses mètres que l’on ne comptait plus, le clocher dominait la cité de sa stoïque stature, tremblant à toutes les heures d’un écho monotone. Encore. Encore et toujours. Dans le cœur de la Capitale, il battait une pulsation qui rêvait d’un lendemain éternel. « Tu le lui as donné, non ? », pensa-t-elle. Assise sur un banc, observant la vie se mouvoir de ses plus beaux gestes, elle sortit de son manteau un jeu de cartes griffonné par le temps. Elle en tira une carte, laissa le hasard guider sa main, jusqu’à ce que se dessine dans sa paume, les contours d’un joker au masque abêti d’un sourire défiant. Il la narguait de sa sage imbécilité, et si les mots lui manquaient, elle percevait dans son silence les vocables d’une parole qui aurait dû naître, alors, elle lui rendit son mutisme.
Il était un monde où régnaient les dieux et habitaient les hommes
Mais le temps menaça d’emporter les vestiges d’une ère dans le tombeau de l’Oubli
Fragiles étaient les mémoires des uns
Vacillants étaient les cœurs des autres
Il était deux frères qu’un petit dieu avait réunis
Sous la coupole des étoiles, ils marchaient sur des routes inconnues
Mais leurs chemins se séparèrent
Et l’un traça du bout de son doigt le sentier d’un nouveau monde
Il était des cités tombant sous la main d’un dieu qui avait peur
Rien pour l’arrêter, tout pour le retenir
Rêve après rêve, sa fin lui tendait la main
Et d’un geste, il la repoussa
Il était une rébellion qui anima la terre et décrocha le ciel
Porté par les voix de ce monde, il s’avança face au dieu de ses tourments
De son impuissance, il invoqua un titan
Et ce fut la fin des fins
Il était un monde où vivaient les hommes
Le temps effaça de leurs mémoires les traces d’un passé légendaire
Mais le soleil continua de se lever et la terre continua de tourner
Sous l’aube d’un lendemain dont on pouvait rêver
Ses mots flottèrent un instant dans l’air, portés par un écho qui résonna comme le souvenir d’un étrange songe. Le silence régnait désormais sur la Place des Anges, sous le bruissement des cartes que l’on rangeait dans un paquet. Elle se leva, observa encore une fois le clocher grelotter sous les assauts d’un vent taquin, et s’en alla se perdre dans une ruelle aux mille et une dalles. La Capitale l’avait engloutie, elle et les récits que portait sa voix. Elle ne laissa aucune trace, mais à celui qui aurait été attentif, peut-être aurait-il remarqué son hommage, seul et gisant sur un le banc d’une place qui serait un jour tracée des mémoires. Une carte. Un joker au sourire facétieux, au nom béni par les étoiles d’un petit dieu. Orion. Le monde oublierait ses syllabes et son écho raviverait les légendes.
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