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Chapitre 11 – L’œil du Titan

Des hommes et des dieux. Où se trouve l’équité ? Dans les profondeurs de la terre, certains joyaux résident encore et brillent d’un éclat à redorer.


Kimy Dieu

Kimy Dieu

17 novembre 2023 à 20:46

Article en ligne – Nouvelle » L’écho de ses pas résonnait sur les escaliers de métal, relâchant un son froid, monotone. Rien ne pressait, seulement le temps qui défilait le long des câbles et du réseau de conduites enracinées sur les parois de l’enceinte. Comme des étoiles vacillant dans une mer de ténèbres, des points clignotaient çà-et-là, lui indiquant le chemin à prendre à travers un dédale de plateformes suspendues par les seules forces de cordes dont on ne voyait pas la fin.

Parfois, la plaque tremblait sous son poids, menaçant d’être avalée par un gouffre sans fond, avant de retrouver sa stabilité sous les geignements des câbles qui grinçaient, qui criaient. Sa vie ne tenait qu’à ces si fragiles fils. L’un céderait, l’autre tomberait. Pourtant, sa figure continuait son avancée à travers cette serre où régnait la nuit. Le son des fumées crachées par les tuyaux de la salle lui parvenait de temps à autre, pareil à un orchestre amputé de son chef, alors que des vapeurs sorties de l’ombre lui picotaient la peau avec voracité. Avancer, toujours avancer.

 

Arrivée au centre de la salle, elle ne put s’empêcher d’esquisser un sourire du coin des lèvres. Il dormait, n’attendant que d’être délivré d’un sommeil qui n’avait que trop duré. « Qui assistera donc à ton réveil, mon cher Titan ? », dit-elle en posant délicatement sa main contre le globe en acier qui lui faisait face. Peut-être un caprice l’avait traversé à cet instant-là, peut-être avait-il senti la menace qui embaumait d’un parfum rouge les terres de ce monde. Peut-être. Quoiqu’il en fût, il mit fin à ses songes pour sonder de son œil de verre la jeune femme qui avait eu l’audace de venir troubler son repos.

 

- Tu émerges enfin, déclara-t-elle d’un ton plaisantin.

- Cesse donc tes insanités, misérable, ou devrais-je plutôt t’appeler en ce terme : Aelna ? répliqua le globe.

- Eh bien ! Ton enveloppe physique te sied à merveille ; un œil de verre, irradiant de son regard un jugement sur chacun, un jugement digne de ta clairvoyance. Effectivement, tu peux m’appeler Aelna, dieu Titan.

- Que me veux-tu ?

- Rien si ce n’est vous avertir des sottises que semble commettre votre frère. Lucius, ce nom ne vous échappe pas, si ?

 

Un grondement sourd parcourut la pièce, et Aelna entendit des câbles se rompre, fouettant l’air d’un claquement qui vibrait douloureusement dans ses oreilles. Entre deux battements de cils, un vent fit s’envoler ses pensées, mais sa volonté, elle, demeurait intacte.

 

- Lacrima est divisée, poursuivit-elle. Son Cœur est devenu insensible à la misère qui le lorgne de l’extérieur et menace d’éclater comme un abcès. Ce n’est qu’une question de temps, avant que les pauvres, les laissés-pour-compte de la région de Gloria, vos terres, ne finissent par trouver le mouton noir de tous leurs maux, qu’il soit humain ou dieu.

- Insinuerais-tu que je serais incapable de diriger la région dont je suis le représentant ?

- Non. Je n’établis que des faits, des faits qu’un de vos pairs utiliserait néanmoins pour son plus grand bonheur.

- Les agissements de Lucius ne me sont pas inconnus, déclara Titan d’un ton platonique. S’il se présentait à moi avec la même impertinence dont tu fais preuve, il le payerait de sa vie ou de sa mort. Mais qu’importe ce qu’il sera prêt à sacrifier, sa fin restera invariablement la même : fatale.

- Et c’est bien pour cette raison qu’il souhaite vous éviter. Frère ou sœur, vous n’êtes que des obstacles sur son chemin, des boulets à traîner, alors autant s’en débarrasser. Toutefois, si un de ces boulets demeure inatteignable, le laisser à ses déboires jusqu’à ce que ces derniers ne le consument se présente comme une joyeuse idée, je me trompe ?

 

L’œil de Titan ferma un instant ses paupières mécaniques, avant de les ouvrir pour trouer Aelna d’un regard inspecteur, froid, mettant à nu les reflets de son âme, les bulles de son esprit.

 

- Quand bien même Lucius disparaitrait, une guerre ne servirait personne. Pourtant, qu’y gagnerais-tu ?

- Moi, rien. Mais une certaine personne trouverait dans l’issue d’une guerre la réponse à toutes ces questions.

- Alors, elle devra se contenter de vivre dans la méconnaissance de cette réponse, car sur ce plateau de jeu qu’est le monde, celui-ci n’en vaut pas la chandelle. Une guerre n’est pas envisageable, que je disparaisse ou non, quitte à entraîner le monde dans ma chute.

- Hélas, je crains bien que cela ne soit plus devenu une option, car la guerre a déjà commencé ! déclara Aelna d’un ton joueur. Et elle s’est infiltrée dans le cœur des hommes et les guident d’une main de fer. Toutefois, une question demeure encore incertaine. Dites-moi donc, mon cher Titan, sur quelle carte déciderez-vous de porter votre regard ?

 

Sur un rire, la jeune femme se retourna et gravit à nouveau les marches de métal qui conduisaient à la sortie, laissant un dieu devant l’incrédulité de ses mots, la folie de son discours, devant deux morceaux de papier sur lesquels figuraient deux rois. Toutefois, celle-ci savait qu’elle avait frappé suffisamment fort pour le réveiller des mirages qui obscurcissaient sa vue. « Titan, étais-tu aveugle ? » L’écho de ses pas résonnaient encore dans les ténèbres de cette salle, mais cette fois-ci, des notes triomphantes s’accordaient au rythme de sa marche.

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