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«Se réveiller de l’ébriété numérique»

Bercés de mirages, nous avons laissé les écrans tapisser nos sociétés. Comment reprendre le contrôle?


 Thierry Raboud

Thierry Raboud

27 mars 2023 à 15:47

Temps de lecture : 1 min

Interview » Peut-on se passer des géants du numérique, ces démiurges contemporains dont les outils ont colonisé nos intimités mais aussi nos services publics, nos écoles, nos démocraties? «Non, bien sûr que non, mais ce n’est pas pour autant qu’on ne peut pas se préparer à s’en séparer», répond Vincent Courboulay, qui vient de signer un Manifeste pour un numérique responsable, constat d’échec agrémenté de 25 propositions pour reprendre le contrôle.

Derrière la fascination, une aliénation, que plusieurs essais tentent de désamorcer en dépassant l’opposition caricaturale entre retour à la bougie et idolâtrie numérique (lire ci-dessous). Tout débrancher? «Technocritique» sans être technophobe, Vincent Courboulay en appelle plutôt à un sursaut politique pour élaborer un autre projet numérique, à la fois collectif, éthique, humaniste et européen. Interview.

Vous tirez le constat d’un échec du numérique. A quel moment les choses ont-elles mal tourné?

Vincent Courboulay: Le jour où les pouvoirs publics ont considéré que la puissance privée était plus pertinente, plus agile et plus efficace pour répondre aux enjeux de la numérisation. La rencontre inédite entre le renoncement étatique et la volonté de certaines entreprises de «changer le monde» a creusé ce sillon ouvert par les startupers de la Silicon Valley.

Que reste-t-il aujourd’hui de cette belle utopie humaniste?

Il reste l’emballage, toujours fondé sur des valeurs de partage et d’égalité, même si le produit est désormais orienté malbouffe… Bien sûr, il y a des poches de résistance, des idéalistes de l’éthique, de l’open source, de la non-surveillance, mais ce sont des foyers isolés qui ont du mal à faire front et à proposer des alternatives.

N’est-ce pas déjà trop tard?

Nos régimes démocratiques sont encore capables de faire face à ces sociétés. C’est une guerre qui est mondiale dans laquelle de nombreuses batailles ont clairement été perdues: celles du logiciel, du matériel, de la donnée individuelle, et on est aussi en train de perdre celle de l’intelligence artificielle. Un rideau de silicium tombe sur le monde, à l’image de celui de fer au siècle passé, qui oblige à choisir notre camp. Mais il reste des combats importants à mener.

Lesquels?

Celui de la régulation, de la donnée d’intérêt général, et surtout celui de la fédération des acteurs. Je crois à l’«airbusisation»: lorsque l’Europe a décidé de créer une société d’aviation pour faire face à Boeing, personne n’y a cru. Puis Airbus est né car on a laissé nos ingénieurs travailler ensemble et faire des erreurs. Il s’agit aujourd’hui de créer un Airbus du numérique à l’échelle européenne, en mettant en relation les différents acteurs technologiques et en remettant au goût du jour ce qui était considéré dans les années 1980 comme un gros mot: la notion de service public.

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