«Les rythmes de vie se sont accélérés»
Guillaume Drevon analyse la vie des grands pendulaires. Un quotidien rempli de tensions
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Aude-May Lepasteur
23 avril 2019 à 04:01
Urbanisme » Se lever, déposer le petit à la crèche, courir prendre le train, courir au travail, appeler le plombier entre deux séances, avaler un sandwich sans mâcher devant son ordi, travailler, rappeler à son conjoint qu’il faut changer les pneus d’hiver, courir au fitness, cuisiner la pitance familiale, corriger les devoirs, s’écrouler dans son lit. Ce n’est pas qu’une impression: nous vivons des vies de fous. Chercheur auprès du Laboratoire de sociologie urbaine de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, Guillaume Drevon analyse le rythme de vie des pendulaires. Interview.
Selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique, en 2017, 4 millions de Suisses étaient des pendulaires. En moyenne, ces derniers consacraient une heure par jour aux transports entre le domicile et le travail. Qu’est-ce qui fait la spécificité suisse en termes de pendularité?
Guillaume Drevon: Les pendulaires, ce sont les gens qui travaillent dans une autre commune que celle de leur domicile. Aux actifs s’ajoutent également par exemple les étudiants qui peuvent parcourir de grandes distances pour se rendre à l’université. En raison de son réseau de transports exceptionnel, la Suisse invite à la grande pendularité. Les trains permettent de se projeter dans l’espace pour avoir accès à un marché du travail plus large. La qualité du réseau ferré encourage ces pratiques, mais cela va également dans le sens inverse. C’est parce que les Suisses sont de grands pendulaires que le pays investit dans l’offre ferroviaire.
Les raisons qui poussent les Suisses à vivre dans une commune différente de celle où ils travaillent sont souvent financières. Or, un Zurichois qui s’établirait à Soleure repousserait plus loin un Soleurois… Est-ce que la pendularité ne crée pas de la pendularité?
C’est évident que le système de transports publics et routiers provoque une diffusion des prix. Les gens qui vivaient dans des territoires qui sont désormais accessibles depuis les centres urbains où l’on trouve du travail peuvent se trouver dans l’obligation de déménager face à l’augmentation des prix. Cela peut potentiellement engendrer des formes de relégation.
Votre méthode d’analyse se nomme la rythmologie. De quoi s’agit-il?
L’idée, ce n’est plus d’analyser la société en fonction de catégories, par exemple aînés/jeunes ou urbain/périurbain, mais plutôt à partir des catégories de rythmes de vie. Or, on note une importante accélération de ces derniers. En Europe, le temps de travail a continuellement diminué. Pourtant, on ne cesse de parler de burn-out.
Les moyens de transport, les technologies de l’information, l’informatique nous permettent de faire davantage d’activités par unité de temps. A cela s’ajoute une injonction à être une personne accomplie dans tous les domaines: on doit non seulement être bon au travail, mais aussi être un bon père ou une bonne mère, un bon sportif, un bon ami, etc. Résultat: on en fait toujours davantage et les rythmes sont très tendus (voir ci-contre).
Vous avez analysé les rythmes de vie des Suisses. Qu’avez-vous découvert?
Contrairement à ce qu’on imagine, la majorité des Suisses ne sont pas calés sur des rythmes classiques du style départ le matin au travail et retour le soir. Certains ne sortent que l’après-midi, d’autres que la soirée. Ce sont des profils dont on n’a pas forcément conscience et qu’il faut prendre en compte dans les politiques publiques de transports notamment.
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