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Métaux. Rejet du rachat de U.S. Steel: Tokyo réclame des explications

Tokyo a réclamé lundi à Washington d'expliciter les risques pour la "sécurité nationale" qui l'ont conduit à rejeter l'acquisition de l'aciériste U.S. Steel par Nippon Steel afin de "dissiper l'inquiétude" des industriels nippons.

Le président américain Joe Biden a annoncé la semaine dernière qu'il bloquait le rachat de U.S. Steel par le géant japonais de la sidérurgie Nippon Steel. (archive)KEYSTONE/AP/GENE J. PUSKAR

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ATS, AWP et AFP

6 janvier 2025 à 12:01, mis à jour à 12:08

Temps de lecture : 3 min

"Ils doivent être capables d'expliquer clairement en quoi" ce projet de rachat "constituait un souci pour la sécurité nationale" des Etats-Unis, a lancé le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba devant la presse.

"Il est malheureusement vrai que le monde industriel japonais s'inquiète de l'avenir des investissements (aux Etats-Unis). Nous demandons instamment au gouvernement américain de prendre des mesures pour dissiper ces inquiétudes", au risque sinon de faire échouer "des discussions à l'avenir", a-t-il averti.

Le Japon représente la première source d'investissements directs étrangers (IDE) aux Etats-Unis: les investissements nippons y totalisaient 783,3 milliards de dollars en 2023, soit 14,5% du total des IDE dans le pays selon des chiffres américains.

Le président américain Joe Biden a annoncé vendredi qu'il bloquait le rachat de U.S. Steel par le géant japonais de la sidérurgie Nippon Steel, annoncé en décembre 2023 pour 14,9 milliards de dollars.

Cette fusion "poserait des risques pour notre sécurité nationale et nos chaînes d'approvisionnement essentielles. Une industrie sidérurgique forte, détenue et exploitée au niveau national, représente une priorité essentielle", a fait valoir M. Biden, qui laissera son poste le 20 janvier à Donald Trump.

Les Etats-Unis sont le premier importateur mondial d'acier, secteur dominé de manière écrasante par leur grande rivale, la Chine.

"Effet dissuasif"

La décision était attendue mais n'en a pas moins fait l'effet d'une douche froide à Tokyo, qui se prépare déjà à un durcissement protectionniste américain sous le second mandat du magnat républicain.

Le ministre japonais de l'Economie Yoji Muto a jugé samedi ce rejet "incompréhensible et regrettable".

"Ce n'est pas une décision contre le Japon, nous avons été en contact avec eux et leur avons partagé nos impressions", avait tenté de déminer la porte-parole de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre.

Pas de quoi rassurer John Murphy, vice-président de la Chambre de commerce américaine: "La politisation par l'administration Biden de l'acquisition de U.S. Steel (...) pourrait avoir un effet dissuasif sur les investissements internationaux aux Etats-Unis", s'est-il désolé.

"Les investissements d'un pays allié important et fiable, le Japon, soutiennent près d'un million d'emplois américains", a-t-il estimé dans un communiqué.

"Il est inhabituel de déclarer qu'un pays ami ou allié constitue une menace pour la sécurité, c'est ce qu'a fait (Joe Biden). Il semble que la définition de la +sécurité nationale+ soit de plus en plus large", a abondé Bill Reinsch, expert du Center for Strategic and International Studies, cité par l'agence Bloomberg.

Ingérence politique "inappropriée"

De fait, l'opération était soumise à une intense pression politique: elle concernait au premier chef la Pennsylvanie, Etat stratégique sur le plan électoral et aussi berceau de l'aciérie aux Etats-Unis.

La classe politique américaine était quasi-unanime à s'opposer à l'acquisition, républicains et démocrates confondus. Donald Trump, qui campe sur des positions protectionnistes, avait lui-aussi affiché son hostilité.

En pleine campagne présidentielle aux Etats-Unis, des groupes d'entreprises japonais et américains avaient exhorté mi-septembre à ne pas succomber aux pressions politiques lors de l'examen du projet.

"Il est inapproprié que la politique continue de l'emporter sur les véritables intérêts de sécurité nationale", avait également plaidé Nippon Steel le 11 décembre, avant de multiplier concessions et garanties pour amadouer l'administration Biden et les syndicats.

Outre le maintien de l'emploi et des investissements massifs, l'entreprise aurait en particulier, selon la presse, proposé au gouvernement américain de disposer d'un droit de veto sur toute potentielle réduction de la production de U.S. Steel aux Etats-Unis.

En difficulté, U.S. Steel avait de son côté prévenu qu'en cas d'échec du rachat par Nippon Steel, il se verrait contraint de renoncer à des investissements massifs de modernisation sur plusieurs sites, au prix de plans sociaux et de possibles fermetures d'aciéries.

L'organisation patronale japonaise Keizai Doyukai appelle désormais à s'adapter au virage "protectionniste" américain.

"Dans des domaines liés à la sécurité économique, nous devrions renforcer la coopération avec des pays comme la Corée du Sud, l'Australie, les Philippines et l'Inde, afin de ne pas devenir complètement dépendants des États-Unis", estime son président Takeshi Niinami.