Juge cantonal depuis 30 ans, Christian Pfammatter prend sa retraite
Spécialiste des questions d’aménagement du territoire et des marchés publics, Christian Pfammatter prend sa retraite mais agira en qualité de juge suppléant sur certains dossiers. Interview
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13 mars 2023 à 13:33
Justice » Juge cantonal depuis 1992, Christian Pfammatter (65 ans) a fait valoir son droit à la retraite à la fin de l’année dernière. Mais pas question pour ce spécialiste de l’aménagement du territoire et des marchés publics de quitter abruptement l’institution où il a siégé durant trois décennies: il continue d’y officier en tant que juge suppléant. Un soulagement pour le Tribunal cantonal (TC), chroniquement surchargé. L’intéressé assure toutefois n’avoir pas été contraint à rempiler. «C’est ma passion, j’adore régler ce type d’affaires», assure-t-il en précisant qu’il continuera de traiter une vingtaine de dossiers, dont ceux relatifs à l’aménagement de la rive sud du lac de Neuchâtel.
Vous avez rejoint le Tribunal cantonal en 1992. Durant ces 30 ans de carrière, quelle évolution vous a le plus marqué?
Christian Pfammatter: Certainement la manière de travailler. C’est vraiment le jour et la nuit. En 1992, lorsque j’ai rejoint le nouveau Tribunal administratif cantonal (ndlr: intégré en 2008 au Tribunal cantonal unifié), la photocopieuse était quasiment l'outil le plus sophistiqué. A présent, nous avons un accès électronique direct aux bases de données du TC, aux dossiers qui nous sont attribués, aux mémoires de recours... Avec le juge Pascal l’Homme, aujourd’hui président du Tribunal de la Veveyse, nous avions été chargés de mettre en place la première infrastructure informatique des tribunaux fribourgeois voilà 30 ans. Au Tribunal fédéral, en tant que représentant des utilisateurs du site de Lausanne, j’avais déjà participé à l’élaboration du programme de documentation informatique.
Il n’y a pas qu’au niveau technologique que les choses ont évolué…
Au début de son existence, le Tribunal administratif cantonal a dû trouver sa place. Le Conseil d’Etat nous appréciait, jusqu’au jour où nous avons rendu des décisions n’allant pas dans son sens… Il a fallu du temps pour que les responsables politiques acceptent que cela n’avait rien de personnel et que chacun devait faire son travail.
Quinze ans après la réunion des sections civile, pénale et administrative du TC, quel bilan peut-on tirer de cette opération?
Il a fallu passer outre certaines réticences, mais au final nous nous y sommes retrouvés. Cette fusion est une vraie réussite. Avant cela, nous, les juges administratifs, n’avions que très peu de contacts avec nos collègues des sections civile et pénale. Depuis, un sentiment d’appartenance à une communauté s’est développé. Il a été renforcé encore par la création de l’Association fribourgeoise des magistrats, qui nous a permis de développer aussi des contacts avec les juges de première instance et les juges de paix.
En tant que président de la IIe Cour administrative, vous avez eu à prendre des décisions parfois délicates. En 2019, il y a par exemple eu l’arrêt mettant à néant le plan d’aménagement local d’Avry. Avez-vous parfois subi des pressions?
Naissance
Le 25 novembre 1957 à Sierre (VS)
Formation
Collège St Michel à Fribourg, Licence en droit de l’Université de Fribourg en 1981, Brevet d’avocat genevois en 1984.
Parcours
Juriste auprès de l’Office fédéral de la justice à Berne en 1984 et 1985, Greffier au Tribunal fédéral (IIe Cour de droit public) de 1985 à 1991. Dès 1992, juge au Tribunal administratif cantonal, puis au Tribunal cantonal, section administrative. A présidé le TC en 2011 et 2020. Président de la IIe Cour administrative (droit foncier/marchés publics), membre de la Ie Cour administrative (droit communal/personnel/étrangers) et de la Cour fiscale.
Ce cas est l’un de ceux où j’ai ressenti un retour de bâton. Nous nous rendions bien compte que nous allions mettre par terre les planifications locales (PAL) de dizaines de communes. Et quand on sait que l’élaboration d’un PAL coûte dans les 400'000 francs… Le problème est que la Direction de l’aménagement avait autorisé les communes à appliquer l’ancien Plan directeur cantonal de 2002, très laxiste, alors que celui de 2018 avait déjà été approuvé. Cela n’allait tout simplement pas.
Un mois après cet arrêt, le Grand Conseil m’a élu président du TC avec un score absolument misérable. Beaucoup de députés sont aussi des élus communaux et certains étaient furieux… Cette affaire démontre, selon moi, que l’élection des magistrats à vie ou, pour être plus précis, pour une durée indéterminée, est un progrès pour la justice. Avant cela, nous étions élus pour 5 ans et un juge n’aurait jamais traité une affaire comme celle d’Avry durant son année électorale. Il aurait attendu que son élection soit passée avant de statuer. Cela dit, je n’ai jamais subi de pressions directes. Il m’est arrivé de recevoir des appels d’élus qui me demandaient des nouvelles d’une affaire en cours, manière de me dire qu’ils avaient un œil dessus. Mais cela me faisait davantage sourire qu’autre chose.
En matière d’aménagement, où en est Fribourg?
Je dois dire que la DIME a fait un excellent travail de cadrage et de rigueur. D’autres cantons ont pris du retard. Avant ces réformes, le TF rendait régulièrement des arrêts reprochant à Fribourg son laxisme. Mais les règles appliquées actuellement risquent fort d’être atténuées ces prochaines années: dans bien des communes, il n’est plus possible de mettre le moindre mètre carré en zone à bâtir et des élus protestent. La situation d’aujourd’hui est toutefois conforme à la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire. Ce changement était nécessaire. Depuis 1992 je me suis énormément déplacé à travers le canton et je l’ai vu se transformer. Toutes ces zones mixtes bâclées aux entrées de localités, c’est terrible… L’arrêt du mitage du territoire est devenu une question quasiment existentielle dans notre pays.
La question des éoliennes préoccupe beaucoup de Fribourgeois. Il y a une dizaine d'années, le TC avait débouté les opposants au parc éolien du Schwyberg, décision cassée ensuite par le TF. Comment est-ce que le juge que vous êtes aborde un tel dossier?
Tout ce qui concerne l’éolien doit figurer dans le plan directeur correspondant qui indique les sites où une implantation peut être étudiée. Une fois que ce critère est rempli, un grand chemin est déjà accompli. Mais il faut ensuite prendre tous les détails en considération: emplacement exact des éoliennes, flore et faune dans le secteur… Pour ce qui est du Schwyberg, le TF nous avait reproché de ne pas avoir tenu compte de la présence de chauves-souris dans la zone concernée. En principe, nous nous prononçons sur la base d’expertises et d’études d’impact ayant déjà été conduites. Nous devons contrôler leur validité et éventuellement demander des compléments, par exemple si le parc éolien projeté se trouve dans un couloir de migration d’oiseaux.
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