Les adieux d’un généraliste du droit
Le procureur Jean-Luc Mooser quitte la magistrature après 30 ans passés au service de la loi
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Marc-Roland Zoellig
29 décembre 2021 à 22:26
Justice » «J’ai la chance d’avoir été un généraliste», observe le procureur Jean-Luc Mooser en tirant le bilan de sa carrière au sein de la magistrature fribourgeoise. Nommé juge d’instruction en 1992, le résident de Belfaux a décidé de prendre une retraite anticipée après avoir consacré trois décennies à faire respecter la loi. Dans l’un de ses derniers réquisitoires, prononcé il y a un peu plus d’un mois, il a demandé et obtenu devant le Tribunal pénal de la Broye la condamnation d’un père incestueux et pervers ayant filmé les abus commis sur sa propre fille alors qu’elle n’était qu’un nourrisson. L’individu a écopé de 15 ans de prison, assortis d’une mesure thérapeutique institutionnelle de durée indéterminée (La Liberté du 1er décembre). Cette affaire sordide et particulièrement éprouvante, Jean-Luc Mooser l’a décrite, au moment de prendre la parole devant les juges, comme l’une des pires dont il ait eu à connaître.
Comment tient-on le coup lorsqu’on doit faire face à des situations pareilles? «Le plus important est de garder une certaine distance», explique le magistrat. «Il ne faut pas détester les auteurs mais ce qui leur est reproché. Ce sont les faits qui sont abominables. Dans l’affaire que vous évoquez, les plus marqués ont été les policiers ayant dû visionner les centaines de vidéos tournées par l’accusé. Ils ont eu la possibilité de faire un débriefing.» Lui-même s’est gardé de se spécialiser dans un type d’affaires en particulier, évitant ainsi de se focaliser uniquement sur le pire. Depuis 2013, il préside en outre le Conseil de paroisse de Belfaux. «C’est un autre monde», sourit-il en précisant que sa foi l’accompagne dans sa vie privée, mais n’interfère pas dans son activité judiciaire.
Davantage de procédures
Parmi les affaires instruites par Jean-Luc Mooser, certaines font désormais partie de l’histoire judiciaire fribourgeoise. A commencer par celle dite «des barils», double assassinat crapuleux dont l’auteur et ses deux complices avaient failli se tirer à bon compte. Les corps des victimes, bétonnés dans des barils et précipités dans le lac de Lungern (OW) en janvier 1999, n’auraient probablement jamais été découverts sans la baisse du niveau de l’eau du lac, qui alimente une centrale électrique. «Nous savions que l’auteur était en fuite en Espagne. Je l’ai appelé pour lui dire qu’il avait tout intérêt à rentrer en Suisse s’il ne voulait pas subir six mois de détention extraditionnelle là-bas. Il est venu se rendre», se souvient le procureur.
«Aujourd’hui, la moindre opération demande beaucoup de procédures, au détriment parfois du fond»
Jean-Luc Mooser
«A l’époque, les choses étaient plus simples. Aujourd’hui, la moindre opération demande beaucoup de procédures, au détriment parfois du fond», déplore Jean-Luc Mooser, qui garde aussi un souvenir particulier de l’affaire Erhard Loretan. «C’était l’une des plus douloureuses. Le syndrome du bébé secoué était alors mal connu», se souvient le magistrat qui avait obtenu, en 2003, la condamnation à quatre mois de prison avec sursis du célèbre alpiniste ayant tué son enfant dans un moment d’énervement. «Il était un peu dépassé par ce qu’il avait fait. Cette histoire tragique a au moins permis de faire connaître ce syndrome et d’éviter d’autres drames.»
Au Tribunal cantonal
Plus récemment, en avril 2021, le procureur Mooser s’est chargé du volet helvétique d’une très médiatisée affaire d’enlèvement de mineure. Une fillette de 8 ans et sa mère avaient été retrouvées dans un squat de Sainte-Croix (VD) après une cavale de plusieurs jours démarrée dans les Vosges, en France, avec des escales dans les cantons de Fribourg et de Neuchâtel. «Cette procédure très complexe a montré les limites du fédéralisme», analyse Jean-Luc Mooser, qui a coordonné une opération d’envergure menée conjointement par les autorités françaises, vaudoises, fribourgeoises et neuchâteloises.
Dans un registre plus «people», le magistrat fribourgeois a condamné par ordonnance pénale Pete Doherty, chanteur britannique réputé autant pour son talent musical que pour ses frasques à répétition. En mai 2019, après un concert à Fri-Son, le rocker avait perdu le contrôle de son husky, qui avait mordu un congénère au parc du Domino. «La propriétaire du chien blessé a porté plainte. Quelque temps plus tard, Pete Doherty s’est produit à Zurich et j’ai demandé à la police zurichoise de l’entendre. L’agent qui s’en est chargé ne savait pas qui il était.»
Juge suppléant au Tribunal cantonal depuis 2012, Jean-Luc Mooser n’y a siégé jusqu’à présent que pour des affaires de privation de liberté à des fins d’assistance, histoire de ne pas interférer avec son activité de procureur. «Dès le 1er janvier 2022, je pourrai siéger aussi à la Cour d’appel pénal», explique celui qui gardera ainsi un pied dans la magistrature, tout en continuant à être membre de la Commission d’examen du barreau fribourgeois.
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