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Religions

Quand les écoliers préparent la paix

Dix-mille enfants israéliens, juifs, musulmans et chrétiens, ont déjà bénéficié de jumelages interreligieux

Les enfants juifs, musulmans et chrétiens se sont retrouvés au kibboutz Yagour, près d’Haïfa, pour la clôture du programme interreligieux.

Catherine Dupeyron, Jérusalem

Catherine Dupeyron, Jérusalem

17 juin 2023 à 04:01

Israël » «Vous avez transformé un rêve en réalité!» s’exclament les animateurs à l’adresse de 1200 enfants israéliens, rassemblés dans une salle de spectacle. Le rêve, c’est la paix entre Juifs et Arabes. La réalité, c’est un programme très concret, baptisé Dialogue et identité, qui, depuis 2006, réunit des enfants de 10-12 ans, tous israéliens, mais de confession juive, chrétienne et musulmane, les Arabes représentant 20% de la population israélienne.

Lancé il y a 17 ans et soutenu dès le départ par le Ministère israélien de l’éducation, ce programme a aussi reçu une aide de près de 720 000 euros de la part de l’Union européenne pour ces trois dernières années, soit près de 60% du budget de fonctionnement, ce qui a permis de donner une nouvelle ampleur à cette expérience qui a déjà touché plus de 10 000 jeunes.

Mieux se connaître

L’objectif: découvrir la religion de l’autre pour le connaître et le respecter. «Nous avons fait le pari que l’interreligieux pouvait être un pont entre Juifs et Arabes en Israël», explique Eva Halahmi, directrice de ce programme qu’elle a créé pour le réseau scolaire israélien Tali en collaboration avec le Centre Rossing pour l’éducation et le dialogue.

«On travaille avec les enfants avant qu’ils aient une opinion politique, explique-t-elle. Ce n’est pas une solution miracle, mais ils vont grandir en ayant en tête que de l’autre côté, il y a d’autres enfants qui veulent la même chose qu’eux. Exposés à la diversité, les enfants renforcent leur identité car ils constatent aussi que les trois monothéismes reposent sur des valeurs communes. Il ne s’agit pas d’aplanir les différences, bien au contraire. On travaille sur ce qui nous sépare pour accepter l’autre dans ses différences. Car les différences sont là pour nous enseigner quelque chose.»

Le 23 mai dernier, les enfants de 36 écoles israéliennes engagées dans ce programme étaient rassemblés pour clore cette année de découvertes croisées dans la salle de spectacles du kibboutz Yagour, près d’Haïfa. «Aujourd’hui, j’ai compris que l’on est une toute petite partie d’un très grand projet. C’est une victoire sur le chemin de la paix», confie Hana, 11 ans, élève juive d’une école Tali, à Jérusalem. Cet établissement était jumelé avec une école chrétienne de Jaffa, qui fait partie du réseau Terra Santa dirigé par les Franciscains, dont la majorité des élèves sont musulmans. Il y a eu quatre rencontres d’une demi-journée au cours de l’année scolaire, articulées sur les trois cultures religieuses monothéistes.

«C’est une découverte formidable, chaque lieu de culte est un autre monde et c’est l’occasion de rencontrer des enfants que je n’aurais jamais vus sans ce programme», confie Sara, élève musulmane de 10 ans, en écarquillant ses grands yeux bleus. A l’inverse, pour Georges, chrétien, les points communs l’emportent sur les différences. «Je voudrais que tous les enfants aient l’occasion de suivre un programme comme celui-là. On voit que tous les lieux de culte – églises, mosquées, synagogues – sont des lieux de prière.» Le programme a aussi permis aux musulmans et chrétiens, qui sont dans la même classe, de découvrir leurs traditions religieuses réciproques.

Pour les professeurs qui accompagnent ce programme, c’est aussi l’occasion de découvrir les autres cultures religieuses. Marina Fanous, chrétienne et professeur de mathématiques, n’était jamais entrée ni dans une synagogue, ni dans une mosquée. Et nombres d’entre eux sont frustrés que le programme ne dure qu’un an. «C’est trop court. On a envie de mieux se connaître. Mais d’un autre côté, il faut que d’autres classes aient la chance de faire cette expérience», précise Marina.

La difficulté la plus fréquente est de convaincre certains enfants d’entrer dans un lieu de culte étranger à leur tradition religieuse. «J’avais un peu peur de rentrer dans une église ou une mosquée, parce que c’est un lieu inconnu», explique Tahel, élève juive de 10 ans. Evidemment, tout s’est bien passé et désormais la fillette pense que «cette expérience devrait être étendue à toutes les écoles israéliennes». Elle parle régulièrement au téléphone avec Stéphanie, sa nouvelle amie de l’école de Jaffa.

Si un accord de paix entre Israéliens et Palestiniens n’est pas pour demain, cette initiative sème les graines de la connaissance et du respect de l’autre chez de futurs adultes mais aussi au sein de leur famille. Raison pour laquelle elle est soutenue par l’Union européenne. «Vous nous montrez la voie. Nous sommes très fiers de ce que vous faites. Nous avons besoin de plus de gens comme vous», a déclaré lors de la cérémonie de clôture Andrea Pontiroli, chef de mission adjoint de la délégation de l’UE auprès de l’Etat d’Israël. Et ces rencontres résistent plutôt bien aux soubresauts politiques. D’abord, le nombre d’écoles participantes est passé de six en 2006 à près d’une quarantaine aujourd’hui. Ensuite, lorsqu’il y a des attentats ou des opérations militaires, l’atmosphère est parfois pesante et triste, mais les rencontres n’ont jamais été annulées.

Au-delà de la violence

Alors que ces derniers mois ont été émaillés de nombreux morts de part et d’autre, «tous les parents ont envoyé leurs enfants», précise Nourite Carmeli, professeur d’hébreu et études juives. «Cela porte un coup au moral et fragilise notre espoir de paix, mais ce ne sont pas tous les Arabes qui tuent des Juifs», remarque Adam, Juif de 11 ans. Même réaction nuancée parmi les élèves arabes. Parfois, les violences créent même un besoin de lien. Ainsi, en mai 2021, lors d’une période de violences aigües entre Juifs et Arabes israéliens suite à une opération de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, les enfants s’étaient envoyés des petits mots de soutien; un moyen de mettre l’actualité à distance.

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