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Retour en grâce syrien

En plein processus de réhabilitation, le paria Bachar al-Assad réintègre ce vendredi la Ligue arabe


 Thierry Jacolet

Thierry Jacolet

19 mai 2023 à 04:01

Diplomatie » Bachar al-Assad règne sur un pays en ruine. Mais il règne. Après douze ans de guerre civile, il est encore debout, comme il en fera la démonstration ce vendredi sur la photo de famille de la Ligue arabe. Traité comme un paria depuis son exclusion de l’organisation panarabe en 2011 en raison de la répression sanglante de son régime, le président syrien retrouve sa place aujourd’hui. Il va recevoir l’onction lors du sommet organisé à Djeddah, en Arabie saoudite, dernière étape en date du processus de réhabilitation orchestré par les pays arabes.

Le vent des sables a tourné à la faveur de la reconquête militaire de ce pays de 17 millions d’habitants. Depuis que le maître de Damas a arraché des mains des rebelles les régions du sud et du centre en 2018, les relations diplomatiques se sont réchauffées avec ses pairs arabes. Les Emirats arabes unis ont rouvert la porte les premiers, celle de leur ambassade à Damas, en 2018, avant de dérouler le tapis rouge à Bachar al-Assad en mars 2022. D’autres pays comme le Bahreïn et la Jordanie ont aussi tendu la main. Ce retour en grâce déroutant a été stimulé ces derniers mois par le séisme qui a frappé le pays et la tectonique des plaques géopolitiques au Moyen-Orient.

Saoudiens à la manœuvre

Si le président syrien est à nouveau fréquentable aux yeux des dirigeants arabes, c’est principalement à MBS et MBZ qu’il le doit, respectivement Mohammed ben Salmane et Mohammed ben Zayed, les princes héritiers saoudien et émirati. «Les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite ont tous deux des projets pour l’avenir de leurs pays en tant que destinations touristiques et commerciales», observe Joshua Landis, directeur du Centre d’études du Moyen-Orient à l’Université d’Oklahoma, aux Etats-Unis. «Ils souhaitent que la stabilité et la croissance économique reviennent dans la région.» En particulier MBS dont la nouvelle stratégie du «Saudi first» réclame une détente régionale au niveau sécuritaire et économique.

C’est d’ailleurs le prince héritier saoudien qui va donner le coup d’accélérateur. Comme d’autres dirigeants arabes, il profite du séisme du 6 février en Syrie pour se rapprocher diplomatiquement de Bachar al-Assad. «La catastrophe a servi de prétexte pour venir en aide non pas aux Syriens, mais au régime qui a fait main basse sur l’aide matérielle et financière», nuance Antoine Basbous, fondateur et directeur de l’Observatoire des pays arabes, à Paris.

Le président syrien est également le bénéficiaire collatéral de la réconciliation des Saoudiens avec l’ennemi iranien, en mars dernier. L’expression d’une nouvelle ambition de MBS: endosser un statut de maître des horloges dans la région. «Le sommet arabe avec Bachar al-Assad lui permettra de crier victoire», souligne le politologue Antoine Basbous. «Il y a une attente régionale amorcée par l’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran dans l’idée d’un apaisement des tensions dans la région. Et comme Assad est attaché à la chaîne iranienne, il en a bénéficié.»

Le renvoi des réfugiés

Certains observateurs y voient le résultat d’un arrangement autour des guerres civiles qui déstabilisent la région. En Syrie, l’Arabie saoudite lâche les opposants à Bachar al-Assad, laissant le champ libre aux Iraniens. Du côté du Yémen, les Iraniens promettent de calmer le jeu avec les Houthis face aux forces loyalistes soutenues par Riyad. Mohammed ben Salmane veut réduire l’influence de l’Iran au Proche-Orient? Il se berce d’illusions, à entendre Antoine Basbous: «L’aide à la Syrie ne va pas la pousser à se détacher de l’Iran. Ces deux pays sont intimement alliés et appartiennent à des minorités chiites. Ils ne font pas confiance à la majorité sunnite arabe.» Plus encore, cette décision va soulager l’Iran qui n’a pas les moyens de reconstruire le pays de son protégé. En revanche, il a eu le temps de faire main basse sur ses richesses.

Cette fin du boycott arabe traduit aussi une forme d’impuissance chez les pays arabes à régler les problèmes en provenance de Syrie. A commencer par le trafic de captagon, une drogue de synthèse qui fait des ravages chez les voisins jusque dans les Etats du Golfe (voir ci-dessous). Autre fardeau qui pèse sur les pays arabes: les 6,6 millions de réfugiés syriens dont la moitié sont encore en Turquie (3,6 millions). Un grand nombre d’entre eux vivent au Liban, en Jordanie, en Irak et en Egypte. «Le retour des réfugiés est très important pour ces pays», relève Joshua Landis. «Mais en l’absence d’emplois et d’opportunités économiques en Syrie, très peu reviendront.»

Vers la levée des sanctions?

D’autant que reconstruire avec des dollars dans ce pays, c’est s’exposer aux sanctions américaines imposées dans le cadre de la loi César en 2019. «Pour l’instant, le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe ne sera probablement que symbolique», ajoute l’expert. «Mais le retour à la Ligue arabe est un premier pas vers la levée des sanctions et la reconquête de l’ensemble du territoire syrien.» A savoir le tiers encore sous le contrôle de gouvernements étrangers et des milices syriennes qu’ils soutiennent.

Si la Syrie n’est pas encore sortie en vainqueur de cette guerre d’usure, elle est déjà la gagnante sur toute la ligne de cette opération de réhabilitation. «Pour Assad, c’est une partie remportée à 100%», convient Antoine Basbous. «Il obtient la reconnaissance, la prescription de ses crimes de guerre et contre l’humanité, ainsi que de l’argent frais, sans fournir aucune contrepartie.» Et pour couronner le tout, cette réintégration ruine les espoirs de victoire de l’opposition syrienne. Elle qui avait même occupé le siège de la Syrie lors de la conférence de la Ligue arabe à Doha. C’était en 2013…

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