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Religions

Religion et politique, un jeu subtil

Quelle est l’influence du religieux dans l’élection présidentielle? L’avis de l’historienne Valentine Zuber


 Pascal Fleury

Pascal Fleury

2 avril 2022 à 04:01

Présidentielle » Dans la France de la laïcité, la religion a-t-elle une quelconque influence sur l’élection présidentielle? Existe-t-il un «vote catholique»? Les candidats exploitent-ils la fibre religieuse? Et les Eglises tentent-elles de se glisser dans la campagne? Les explications de l’historienne Valentine Zuber, directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études à Paris et titulaire de la chaire de religions et relations internationales.

Dans quelle mesure la composante religieuse influence-t-elle l’élection présidentielle?

Valentine Zuber: Lors des dernières campagnes présidentielles du XXIe siècle, la composante religieuse a eu assez peu d’importance. En revanche, l’une des questions qui sont revenues régulièrement durant cette période, c’est la place de l’islam dans la République. Avec, en corollaire, le concept de la laïcité, qui est beaucoup débattu depuis trois décennies, en particulier s’agissant de l’islam de l’immigration post-coloniale.

Avant le XXIe siècle, les Eglises avaient-elles du poids dans le processus électoral?

Théoriquement non, puisque depuis 1905, la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat pose une distinction très nette entre le politique et le religieux. L’Etat se doit de rester autonome vis-à-vis de la religion et vice versa. L’Eglise catholique, majoritaire en France, n’a pas accepté tout de suite cette nouvelle disposition. Il a fallu beaucoup d’allers-retours pour lui faire admettre que ce système lui apportait aussi une liberté. Le fait que la République a consenti au subventionnement des écoles privées catholiques y a contribué. Cela a en revanche davantage coincé lors de l’introduction de lois touchant à la vie personnelle, loi sur les moyens contraceptifs en 1967, sur l’interruption volontaire de grossesse en 1975, sur le mariage pour tous en 2013 ou, récemment encore, sur la procréation médicalement assistée. Cette sécularisation de la République mobilise encore les foules catholiques.

Subsiste-t-il un «vote catholique», un «vote athée»?

«Mais il faut savoir qu’en France, il n’y a pas de statistiques d’appartenance religieuse. Il est donc difficile de savoir clairement qui vote quoi.»

Valentine Zuber

De moins en moins. Mais il faut savoir qu’en France, il n’y a pas de statistiques d’appartenance religieuse. Il est donc difficile de savoir clairement qui vote quoi. D’autre part, il y a une allergie assez forte à l’idée de communauté. Traditionnellement, depuis la Révolution française, l’Etat se place directement face au citoyen. Les «corps intermédiaires», qu’ils soient religieux ou politiques, sont peu considérés. Aujourd’hui, on observe qu’à chaque sensibilité religieuse correspond une grande diversité d’opinions politiques, qui balaie tout le spectre politique. Pendant très longtemps, les protestants ont été considérés comme progressistes, c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui. De même, on a longtemps dit que les catholiques votaient plutôt pour la droite républicaine mais jamais pour l’extrême droite. Là aussi, c’est en train de changer. Les convictions religieuses n’ont plus grand-chose à voir avec les opinions politiques.

Pour certains candidats, la religion reste tout de même un argument politique…

L’exploitation de la religion s’opère essentiellement à des fins identitaires. Parmi les candidats qui se prévalent du catholicisme, on peut citer Marine Le Pen et Eric Zemmour, lui-même pourtant de confession juive. Ces deux candidats estiment qu’il faut préserver la culture française des bouleversements actuels et en particulier de la montée supposée de l’islam dans la société. Pour toucher la corde sensible, ils affirment par exemple que les crèches de Noël devraient avoir leur place dans l’espace public, ce qu’interdit le principe de laïcité. C’est le côté folklorique du religieux, pas du tout une question de foi.

La France est laïque, selon la Constitution. Les candidats ont-ils le droit d’utiliser des arguments religieux?

«Bien sûr, les politiques peuvent parler de leur foi. Cela doit toutefois relever du domaine privé.»

Valentine Zuber

La laïcité oblige l’Etat et ses représentants à être neutres. Mais tant qu’ils ne sont pas élus, les candidats ne sont pas concernés. Le général de Gaulle, qui était très catholique et avait été élevé dans un collège jésuite, n’allait à la messe que de manière privée. Jamais, dans l’exercice du pouvoir, il n’a suscité de messes ni de cérémonies religieuses. Dans la sphère politique, il ne peut y avoir que des célébrations œcuméniques, et cela exceptionnellement, par exemple à la suite d’une catastrophe. Bien sûr, les politiques peuvent parler de leur foi. Marine Le Pen l’a fait, Emmanuel Macron ne l’a pas répété pendant la campagne mais l’a évoqué plusieurs fois au cours de son quinquennat. Cela doit toutefois relever du domaine privé.

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