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Religions

Les promesses du paradis musulman

Islam • Dans le Coran, le paradis céleste est un lieu de plaisirs infinis. Le mythe des 72 vierges est exploité par la propagande djihadiste pour encourager les combattants au sacrifice, les élevant au rang de martyrs.

«L’ascension de Mahomet», miniature tirée du «Khamsé» (1539-1543), recueil de cinq poèmes épiques du poète persan Nizami. Le Prophète, monté sur son cheval à tête humaine, est accueilli au ciel par des anges. Une vision annonciatrice du paradis.

Laurence D’Hondt

Laurence D’Hondt

20 mai 2016 à 13:58

Le mythe des 72 vierges qui attendent chaque martyr au paradis de l’islam ne cesse de susciter ironie et sarcasme en Occident. Au lendemain des attentats de «Charlie Hebdo», un caricaturiste osait ainsi dessiner Charb, Wolinski ou Bernard Maris débarqués au paradis et enlacés par des vierges magnifiques, tout en narguant les suivants, en leur disant: «Il n’y a plus de place au paradis pour l’instant.»

Ce mythe, que l’anthropologue Malek Chebel considère comme l’«un des mythes les plus spectaculaires et fondateurs de l’islam», a propulsé la question du paradis en islam au cœur de l’actualité. En effet, il apparaît d’après les techniques d’endoctrinement utilisées par la propagande djihadiste que nombre de martyrs musulmans prêts à se faire exploser au milieu d’une foule d’innocents s’attendent à voir les portes du paradis s’ouvrir grand devant eux et surtout à pouvoir y jouir sans fin de vierges, appelées «houris», dont la virginité est éternelle.

Il serait bien sûr réducteur de résumer le paradis dans l’islam à l’existence de ces vierges. Pour l’imam et théologien Asad Majeeb, le paradis est d’abord «un lieu qui n’est pas concevable pour l’esprit humain». S’appuyant sur le hadith authentique d’al-Boukhari, l’imam explique comment Allah a préparé pour ses serviteurs vertueux «ce qu’aucun œil n’a jamais vu, ni aucune oreille jamais entendu et qu’aucune personne ne peut concevoir».

Huit portes à franchir

Si le paradis bénéficie dans le Coran de descriptions parfois précises, détaillant le vêtement des élus du paradis ainsi que les délices - notamment le vin exquis - qui attendent les croyants vertueux, ces derniers devront d’abord franchir huit portes «dont les battants sont séparés par quarante années de marche», et prendront ensuite place, selon la qualité de leurs œuvres terrestres, dans un des sept niveaux du séjour des délices, «où leur front brillera de l’éclat de la félicité» (sourate 83).

La précision des descriptions frappe toujours les croyants d’aujourd’hui qui évoquent avec leurs mots ce lieu «où personne ne devra plus travailler. Les femmes n’auront plus de tâches domestiques, plus de fatigue, elles seront des dames et les hommes auront pour leur plaisir des vierges», selon un jeune homme rencontré aux abords de la mosquée du Cinquantenaire à Bruxelles.

Si l’imam Asad Majeeb, appartenant à la communauté Ahmadiyya, assure contre l’avis du courant sunnite majoritaire que le paradis n’accueillera que les âmes et non les corps, la description des plaisirs charnels réservés aux croyants exalte surtout la jouissance d’une vie sensuelle sans entrave. A l’heure où le fondamentalisme multiplie les interdits, le paradis est plus que jamais perçu comme le lieu de toutes les jouissances que la vie terrestre condamne: femmes, vin, luxure.

Femmes pas jalouses

Soulignons à cet égard que les croyantes n’y bénéficient d’aucune «récompense sexuelle» particulière et que le paradis apparaît surtout comme le lieu d’une jouissance masculine.

«La femme musulmane deviendra une dame. Les houris sont pour les hommes, mais la femme ne connaîtra pas la jalousie», explique une Maghrébine, rencontrée à la mosquée du Cinquantenaire. «Tout y est organisé pour ne pas créer de jalousie. De toute façon, il peut y avoir entre chaque gynécée une distance comme entre la terre et la lune.»

Cela pourrait prêter à sourire si l’imagerie développée autour des 72 vierges n’amplifiait la vision phallique de l’existence terrestre et n’était utilisée pour encourager les candidats djihadistes à désirer la mort et à entraîner également celle d’innocents.

Si ce désir mortifère et meurtrier atteint une frange de plus en plus importante de la communauté musulmane, certains, comme le Turc Adnan Oktar, connu également sous le nom de Yahya Haroun, ont inventé un remède aussi fantasque que transgressif à ce désespoir.

Pour ce créationniste autoproclamé qui anime un talk show sur la chaîne turque A9, il s’agit tout simplement de ramener le paradis sur terre. Ce personnage sulfureux se présente ainsi entouré de celles qu’il appelle ses «chatons» - des femmes dévoilées en tenues courtes et moulantes qui dansent et chantent sur le plateau, tout en se dandinant autour de leur «maître».

«Elles sont comme les filles du paradis», explique avec une ingénuité factice l’homme qui a baptisé son talk-show «The Versace Harem»… Une façon de démontrer par la preuve du vivant qu’entre le paradis et la terre, il n’y a qu’un pas… à oser franchir!

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Compensation espérée dans l’autre monde»

Psychanalyste et professeur à l’Université Paris Diderot, le Tunisien Fethi Benslama a publié «Un furieux désir de sacrifice, le surmusulman» (Editions Seuil). Entretien.

Le paradis en islam est habité par l’image des 72 vierges qui attendent le croyant, mais aussi le martyr qui se fait exploser au sein d’une foule d’innocents. Pouvez-vous expliquer ce mythe?

Fethi Benslama: Le paradis musulman est décrit avec un luxe de détails comme un lieu de plaisirs infinis pour les hommes. Tout ce qui est interdit par la loi devient non seulement licite, mais accessible dans une démesure inouïe et sans conséquences. La jouissance corporelle et spirituelle s’y entremêle sans interruption. La sexualité y occupe une place de première importance, dont la promesse d’un grand nombre de femmes vierges pour les hommes.

Et qu’en est-il des femmes au paradis?

Les femmes ne sont pas exclues du paradis. Mais il existe peu de précisions concernant leurs plaisirs. Leur lot est plutôt celui d’une béatitude désincarnée. Ainsi, non seulement l’islam continue à conférer dans l’au-delà le privilège qu’il accorde aux hommes dans la vie, mais de plus, il entretient l’imaginaire phallique d’un lieu de jouissance absolue pour eux, autrement dit sans manque, sans loi, donc sans péché.

Quel est, selon vous, le message que ce paradis envoie aux croyants?

Cette promesse de jouissance absolue dans l’au-delà a, à mon sens, deux fonctions. La première est de soutenir la virilité des hommes qui peuvent se projeter dans un monde sans crainte à ce sujet. La seconde est de les inciter à sacrifier une part de leurs pulsions dans le bas monde, dans l’espoir d’obtenir une compensation totale dans l’autre monde.

»Cette espérance les conduit à accepter la mort, car la mort est l’accès à un triomphe total sur l’ennemi extérieur, mais aussi l’ennemi intérieur de l’homme: son surmoi, cette instance qui surveille, qui critique, qui contraint, source de la morale et de la culpabilité, et qui peut être d’une grande cruauté. On voit donc comment le paradis des hommes dans l’islam a pour fonction le soutien du surmoi masculin. C’est pourquoi il est dans la logique du «surmusulman».

Propos recueillis par Laurence D’Hondt

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