Ma fille est une championne 4/5. «L’équilibre familial passe avant le sport»
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Tiphaine Bühler
14 mai 2014 à 20:42
En 2014, «La Liberté» s’intéressait aux parents de sportifs. Car derrière chaque champion, il y a des parents. Mujinga Kambundji ne déroge pas à la règle. La médaillée de bronze des Mondiaux d’athlétisme 2019 à Doha a été constamment soutenue par Ruth et Safuka, que nous avions rencontrés voilà cinq ans. Un article que nous vous reproposons gratuitement.
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Sur la terrasse panoramique de la gare de Berne, Safuka Kambundji cherche le soleil. La chaleur est encore timorée pour le papa immigré en Suisse il y a 38 ans. Ruth, Bernoise de souche de 52 ans, connaît son homme, temporise, taquine et le contredit avec une générosité naturelle. Le couple métissé vivifie l’athlétisme suisse. Ensemble, ils ont quatre gazelles abonnées aux podiums et suivies de très près par Swiss Athletic. Mujinga est celle qui sort du lot… pour le moment.
La détection
«A 7 ans, Mujinga et sa sœur Kaluanda montent sur le podium de «La plus rapide de Berne». Elles ont couru pieds nus. C’était plus léger. Elles nous avaient fait promettre de ne pas filmer», regrette, amusée, la mère.
C’était leur première course. La surprise a été totale. L’inscription était passée par l’école et un enseignant qui avait décelé leur potentiel. Les premières chaussures de course sont arrivées deux ans plus tard, des chaussures d’occasion, à moitié prix. Dans la foulée, Mujinga s’est inscrite au ST Berne. «Très tôt, on a vu qu’elle gagnait tout», se rappelle maman. «Je me suis dit que ça changerait avec la puberté. L’important était d’avoir du plaisir. Sa sœur nous répétait: «Mujinga ira aux Jeux olympiques, pas moi.» Elle avait vu juste.» La belle histoire commence par une finale aux championnats du monde M18 sur 200 m
Le grand saut
Pour papa, c’était les études d’abord. Sa maturité en poche, Mujinga prend une année sabbatique pour s’entraîner et voyager. «Là encore, je n’étais pas chaud», appuie gentiment Safuka. «Mais ma fille sait ce qu’elle se veut. C’est comme avec ses entraîneurs. Si ça dépendait de moi, elle aurait gardé le même depuis toujours. Je noue une relation affective avec eux.» Le dernier changement de coach n’est vieux que de quelques mois et l’adaptation encore en cours.
Ruth reprend malicieusement son mari: «Mujinga est très consciente de ses choix. Elle parle spontanément. Et tout en discutant, elle trouve la solution qui lui convient. C’est un échange et non une décision autoritaire. Elle s’informe sur ce qui existe lorsqu’elle est en meeting à l’étranger. Elle aurait pu aller à Londres. Elle a choisi Mannheim avec le coach Valerij Bauer, trois jours par semaine. On a beaucoup dialogué, avec ses sœurs aussi, et cet équilibre de la famille est, pour moi, bien plus important que le sport ou les études.» L’envol est consommé.
Ce virage est d’autant plus désécurisant que la carrière de leur petite s’accélère. A 21 ans à peine, elle figure parmi les meilleures sprinteuses européennes, décroche son ticket pour les mondiaux de Moscou où elle bat le record de Suisse en relais et son chrono personnel sur 200 m. Un moment paradoxalement pas évident pour Ruth: «La veille de se qualifier pour Moscou, Mujinga sentait des douleurs à la jambe. Je lui ai déconseillé de courir. Sa chance d’atteindre les minima était mince et ne valait pas une nouvelle blessure. Elle m’a répondu que c’était possible d’y arriver et elle a couru sous 35 degrés. Ma nervosité était à son comble.»
Le revers de la médaille
La fille court vite, très vite et la mère se sent parfois dépassée. «On a toujours trouvé des solutions ensemble. C’est très intéressant d’évoluer avec elle et de découvrir ce milieu, si ce n’est pour les contrats de sponsoring de 30 pages en anglais», glisse l’infirmière reconvertie en agente CFF.
La réussite a toutefois un prix. «Si j’avais voulu devenir riche, j’aurais mis ma fille au tennis», ironise volontiers le père. Mais depuis sa course pieds nus, Mujinga a trouvé chaussure à son pied. «Les premiers sponsors l’ont approchée à l’adolescence», expliquent les parents. «Le ST Berne a aussi toujours été très présent et Swiss Athletic ensuite.» Les revenus modestes du couple comblent les trous et permettent de soutenir les cadettes qui pointent leur nez. Mais leur championne ne se balade pas avec cinq paires de baskets. Lors des mondiaux M18 en Italie, elle a d’ailleurs dû courir avec les pointes d’Elodie Jakob après s’être fait voler les siennes.
Si les millions ne sont pas au rendez-vous, la famille s’apprête à vivre la fièvre médiatique qui accompagnera les championnats d’Europe de Zurich en août. «La fédération nous a dit de nous préparer à des demandes», confie Ruth. «Depuis que Mujinga est petite, on nous donne des conseils en tout genre. Au début, cela fait bizarre. Maintenant, on s’est habitué et on sait reconnaître les intérêts des uns et des autres. Pour les journalistes, c’est pareil: ce ne sont pas nos ennemis, mais pas nos amis non plus.»
Le lien du coeur
Les parents apaisent, mais leur cœur palpite à chaque compétition. «Le 9 août 2012, lorsque Mujinga courrait le relais aux JO, devant 80 000 personnes, j’étais stressé comme jamais», se livre papa. «On était chez Jacques Cordey, son entraîneur d’alors. Je filme presque toutes ses courses, en vrai ou sur la TV. Là, j’avais la main qui tremblait. En relais, j’ai peur encore aujourd’hui qu’elle perde le témoin ou fasse un faux départ.» Dans les coups durs, la famille reste le point d’appui, comme lorsque la sprinteuse a dû renoncer aux mondiaux de Daegu pour blessure, alors que sa valise était prête. Sa mère a dû être forte pour deux: «Il faut consoler, trouver les mots pour dire que ça va passer et que ça arrive à d’autres, aux meilleurs».
Le dopage, une peur continue
Le succès véhicule inévitablement le spectre du dopage. Les parents de Mujinga en sont très conscients. «Lorsqu’elle est partie à Mannheim, ça a été une de mes inquiétudes», relève Safuka. «Qui lui ferait à manger là-bas? Ce qui m’a convaincu dans sa passion pour l’athlétisme, c’est que ça la rendait heureuse. Qu’elle vive ses années de gloire intensément, c’est une école de vie aussi. Mais si ça ne va plus, qu’elle arrête. On en a souvent parlé.»
Les contrôles inopinés, le passeport biologique et la pharmacie de l’athlète sont entrés dans le quotidien de la famille Kambundji. «Les contrôleurs débarquent à 6 h du matin ou le soir tard. Mais vous pouvez être sûr que c’est toujours pendant un match de foot», plaisante le chef de famille, sensible à l’importance de ces tests. La mère se méfie pour deux. «C’est ce qui me fait le plus de souci», grimace-t-elle. «Quand Mujinga va à la pharmacie, elle sait exactement ce qu’elle peut prendre grâce à l’application mobile. Mais lorsqu’elle va chez le dentiste ou le dermatologue, je lui dis toujours de signaler qu’elle est une sportive pro. Il suffit d’une crème ou d’un produit pour compromettre une carrière. Je voulais qu’elle leur demande de signer un papier comme quoi ils n’utilisent pas de substance dopante. Mais certains rigolent. Ma fille est parfois trop confiante.»
La localisation quotidienne n’est pas non plus une mince affaire. «Je ne suis pas à l’aise avec ça», reconnaît Ruth. «Elle est jeune et parfois, elle reste dormir chez une copine. Alors je lui envoie un SMS pour lui rappeler de changer sa localisation sur le site d’Antidoping. ça l’énerve.» TBU
Mujinga Kambundji
> Le 17 juin 1992, la Bernoise Ruth et le Congolais Safuka Kambundji donnent naissance à Mujinga à Liebefeld (BE). Elle a déjà une sœur, Kaluanda. Deux autres suivront: Muswama et Ditaji.
> 2009. Mujinga gagne l’or et l’argent sur 4 x 100 m et 200 m au Festival olympique de la jeunesse européenne. Elue révélation de l’année.
> 9 août 2012: premiers JO (Londres) pour les Kambundji. Deux de ses sœurs, sa tante et une nièce sont sur place pour suivre Mujinga.
> 2013. Mujinga décroche une 4e et une 5e place aux championnats d’Europe M23 à Tampere sur 100 m et 200 m, un record personnel sur 200 m aux CM de Moscou et contribue par trois fois à battre le record de Suisse du 4 x 100 m.
Souvenir d’enfance
Des influences plutôt foot
«L’athlétisme, ça ne me parlait pas», se rappelle le papa. «Moi j’étais plutôt foot. Alors, quand Mujinga et Kaluanda ont fini deuxièmes de leur première course, ça ne voulait rien dire. Dans mon esprit, soit on perd, soit on gagne…» TBU/DR
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