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Religions

Le Manuscrit des six âges du monde

Après trois ans de déchiffrage et d’analyse, le précieux parchemin du XIVe siècle s’offre au public à Sion


 Maurice Page, Cath.ch

Maurice Page, Cath.ch

14 janvier 2023 à 02:01

Exposition » Comme toute bonne histoire valaisanne, celle-ci a commencé autour d’une table de bistrot, rigole Stève Bobillier. Une amie travaillant pour la numérisation des codex médiévaux à l’Université de Fribourg lui a parlé de sa difficulté à numériser un rouleau de parchemin du Moyen Age de 8,50 mètres de long. Piqué par la curiosité, le spécialiste de philosophie médiévale est allé le voir sur place. Fasciné, il a immédiatement cherché à se renseigner davantage sur le Manuscrit des six âges du monde provenant de la bibliothèque des Supersaxo, à Sion.

Il s’est aperçu que le document inventorié et connu des spécialistes n’avait jamais été étudié de manière exhaustive. «J’ai déposé une demande de bourse scientifique auprès de l’Etat du Valais pour proposer l’étude de ce manuscrit médiéval. La bourse m’a été accordée pour trois mois. Ce n’est qu’en commençant l’étude que je me suis aperçu de son importance et finalement le travail m’a demandé trois ans et demi.»

Un rouleau de 8,50 mètres

Le plus remarquable du Manuscrit des six âges du monde est son format de rouleau assez peu utilisé au Moyen Age. Il est surtout exceptionnel par sa dimension de 8,50 mètres de long. Il est rare de pouvoir le voir entièrement déployé. «Imaginez la table qu’il faut! On a vraiment l’impression de voir les siècles se dérouler sous nos yeux.»

Soigneusement calligraphié en noir et en rouge, orné de 36 dessins et paré d’enluminures, il appartient à la catégorie des objets d’apparat dont l’utilisation est peu pratique, mais dont la possession est un signe de prestige. «L’origine de ces rouleaux remonte à l’Université de Paris, où les professeurs avaient besoin de supports pédagogiques pour dispenser leur cours et permettre aux élèves de mémoriser la leçon. Un peu à la manière des cartes déroulantes de notre école primaire», explique Stève Bobillier. Raison pour laquelle, ils sont également très illustrés.

Du nord de la France

Le manuscrit vient du nord de la France et ses dessins se rattachent à un atelier parisien. Le texte est écrit en vieux français avec des éléments de patois picard. Mais le rouleau ne contient pas de colophon (note fournissant les indications relatives à l’ouvrage, ndlr). On ne connaît donc ni son ou ses auteurs, ni ses commanditaires. Pour Stève Bobillier, il provient probablement d’un milieu clérical. Le fait qu’il soit rédigé en français et pas en latin écarte plutôt une origine universitaire, note l’ancien bioéthicien à la Conférence des évêques suisses (CES). Sa réalisation remonte au dernier quart du XIVe siècle. Son écriture est très lisible, et aujourd’hui encore, le visiteur pourra le déchiffrer assez facilement. On peut considérer que son auteur a cherché à diffuser son savoir plus largement au-delà de l’université.

La date de l’Apocalypse

Stève Bobillier s’est attaché à déchiffrer, transcrire et traduire la totalité du texte. Le Manuscrit des six âges du monde mélange l’histoire biblique et l’histoire profane. L’idée est d’avoir une histoire complète à partir de la création que l’on va chercher à dater. L’histoire est ensuite divisée en six âges ou périodes, comme on le fait encore aujourd’hui. On peut ainsi estimer la date de la Genèse et à l’inverse celle de l’Apocalypse, c’est-à-dire de la fin des temps et du retour du Christ. Après Adam et Eve, on trouve les prophètes bibliques, mais aussi le roi de Babylone Nabuchodonosor, Alexandre le Grand ou Jules César, pour arriver finalement à Jésus-Christ.

Contrairement aux anciens, la vision chrétienne de l’histoire n’est plus cyclique, mais linéaire, avec un début et une fin. Avec la venue du Christ, l’humanité est entrée dans le sixième âge qui est le dernier, dont on tente de déterminer la durée. On trouve déjà cette conception chez Grégoire de Tours (538-594) près de mille ans auparavant, relève Stève Bobillier.

Le texte donne une morale pour chaque histoire biblique ou profane qui montre comment les bons sont récompensés et les méchants punis. «On a donc une généalogie de la lignée du bien d’Adam au Christ, avec en face une émergence progressive de l’Antéchrist. C’est un appel à choisir son camp.»

L’évêque Supersaxo

Comment ce manuscrit est-il parvenu dans les mains des Supesaxo à Sion? Nous l’ignorons, car nous n’avons pas de mention de son entrée dans la bibliothèque des Supersaxo. Mais sa présence y est attestée dès la moitié du XVe siècle. On ne sait pas si c’est l’évêque Walter Supersaxo (1402-1482) ou son fils naturel Georges (1450-1529) qui en a fait l’acquisition. La famille sédunoise est alors très riche et puissante, très cultivée aussi. Elle est notamment créancière du roi de France François Ier. On peut considérer que le rouleau est arrivé à Sion environ cinquante ans après sa création.

Le manuscrit reste dans la bibliothèque des Supersaxo pendant longtemps, puis passe dans les mains de l’Etat du Valais et enfin, au début du XXe siècle, de la fondation Gottfried Keller qui en a assuré la conservation et la restauration et l’a déposé aux archives du Valais.

Stève Bobillier, Le Manuscrit des six âges du monde – Généalogie d’une lutte contre le Diable de la Création à l’Apocalypse, Editions Presses Inverses, 2022.

Exposition Les Six âges du monde. Toute l’histoire dans un manuscrit, jusqu’au 25 février aux Arsenaux de Sion.

Site internet: six-ages.vallesiana.ch

Manuscrit des six âges du mondewww.e-codices.ch

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