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Religions

La crainte d’un schisme allemand

De nombreux fidèles font pression pour que l’Eglise réforme sa gouvernance et sa morale sexuelle


 Thomas Schnee, Cologne

Thomas Schnee, Cologne

12 mars 2022 à 02:01

Allemagne » Le pape François acceptera-t-il la proposition de démission récemment déposée par le cardinal Rainer Maria Woelki, l’archevêque conservateur de Cologne? Ou va-t-il décider que ce dernier a droit à une seconde chance? Contesté pour avoir étouffé un rapport sur sa gestion passive et dissimulatrice de cas d’abus sexuels par des prélats de son diocèse, Mgr Woelki vient d’achever une retraite de cinq mois dans un couvent du Vatican. Il a repris provisoirement ses fonctions le 2 mars dernier, accueilli par des banderoles et des manifestations hostiles.

«Personne n’a encore lancé des œufs pourris contre le cardinal. Mais ici, l’ambiance est délétère. Pour 2021, nous enregistrons un record absolu de 19 000 sorties d’Eglise, c’est-à-dire des personnes qui cessent de payer l’impôt ecclésiastique. C’est presque le double de 2019, l’année du grand rapport sur la pédophilie dans l’Eglise catholique allemande! Et ce qui est plus grave, c’est que les gens qui partent aujourd’hui sont de plus en plus des catholiques engagés», explique Norbert Nickels, directeur du conseil diocésain qui représente les laïcs au sein de l’évêché.

Contre le système

Pour Maria Mesrian, porte-parole de l’association Maria 2.0, l’affaire Woelki n’est qu’un symptôme de plus du divorce entre l’Eglise catholique et ses fidèles. Et il y a longtemps que cette théologienne, mère de six enfants, ne se fait plus d’illusions: «Nous sommes des femmes catholiques qui n’acceptons plus ce système dominé par quelques hommes incapables d’évoluer. Nous pensons que nous devons sauver notre foi de cette institution qui trahit le message de Jésus. Le nom de Maria 2.0, c’est parce que nous pensons que Marie est en fait une femme forte qui a le droit à une nouvelle image», explique-t-elle avec une voix douce et déterminée.

Fondé en 2019 après la publication du fameux rapport sur les actes de pédophilie dans l’Eglise, Maria 2.0 organise régulièrement des actions de solidarité et de protestation. Le succès est énorme. Il existe actuellement près de 80 groupes locaux en Allemagne, et les créations se poursuivent. «Notre dernière invention, c’est la création de l’association Umsteuern», qui propose aux gens de verser leur impôt d’Eglise pour des actions indépendantes d’aide aux victimes des abus sexuels dans l’Eglise», glisse Doris Bauer, l’une des cofondatrices.

Chemin synodal

Maria 2.0 n’est pas le seul mouvement de catholiques qui refuse de laisser le terrain aux mouvements conservateurs et veulent moderniser «leur» Eglise. Il y a aussi Wir sind Kirche, #OutInChurch ou encore Eckiger Tisch, et bien sûr, le très officiel Conseil central des catholiques allemands (ZdK) qui, en 2019, a été l’instigateur du chemin synodal allemand. Ce processus de discussion sur des réformes ecclésiastiques est porté par une assemblée de 230 personnes, évêques, laïcs, théologiens et religieux. Les décisions finales, qui seront présentées à Rome, sont attendues pour février 2023.

Et les sujets abordés sont explosifs: une gouvernance plus ouverte de l’Eglise, l’accès des femmes à la prêtrise, la fin du célibat des prêtres ou encore la bénédiction des unions homosexuelles! «Je pense qu’il existe vraiment une fenêtre de tir pour réformer l’Eglise maintenant», affirme la coprésidente du chemin synodal et du ZdK, Birgit Mock, qui se réjouit de l’approbation récente d’une motion pour un droit du travail dans l’Eglise plus tolérant (voir ci-dessous).

«Je suis bien consciente que nous n’aboutirons pas sur tous les points. Mais le fait que nous en discutions avec les évêques est historique. Nous pensons que certaines réformes pourront être appliquées dans le cadre de l’Eglise allemande. Nous espérons aussi que notre travail sera une base de réflexion pour le débat romain, dans le cadre du synode sur la gouvernance de l’Eglise lancé par le pape François. Nous recevons en tout cas de nombreux messages de sympathie du monde entier», explique Birgit Mock, qui pense que l’Eglise universelle devrait être capable d’abriter des Eglises nationales qui ne fonctionnent pas toutes à la même vitesse.

Appel à la raison

«Il va falloir désormais que nos évêques montent sur le ring et aillent défendre ces idées à Rome», estime de même le théologien Stefan Herbst, porte-parole du mouvement laic international et réformiste Wir sind Kirche, qui sait que le combat ne fait que commencer. En effet, pour d’importantes parties de l’Eglise, la démarche allemande du chemin synodal est inquiétante, voire carrément schismatique. A l’occasion de la Conférence des évêques d’Allemagne qui s’est achevée jeudi, les évêques scandinaves ont demandé à leurs confrères allemands de revenir à la raison.

Pour eux, la réforme de l’Eglise ne peut être «un projet» qui se discute en assemblée. Elle ne peut s’opérer que par un retour vers le message originel et pastoral de Jésus, et en se pliant à «l’esprit du temps». Dans leur déclaration finale, les évêques allemands ont finalement choisi de temporiser en soutenant le chemin synodal, sans pour autant se prononcer sur les questions qui fâchent. Seule une petite réforme du droit du travail appliquée par l’Eglise est envisagée dans les mois à venir. La bataille, si elle a lieu, a été ajournée.

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